Driss Tabit est né au Maroc, à Youssoufia, près de Marrakech. Venu en France, en 1977, à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, il a d’abord travaillé à mi-temps, en 1979, au collège privé Emilie de Rodat. En 1981, ayant eu son CAPES en Education Physique, il a trouvé un poste à plein temps à Montalembert Notre-Dame. En 1984, il a obtenu la maîtrise en Sciences de l’Education. Il est aussi professeur de Boxe Française et d’Arts Martiaux.
Présence Mariste : Es-tu à l’aise pour vivre ta foi de musulman dans notre pays de culture chrétienne ?
Il faudrait du temps pour répondre en profondeur à cette question. Au début, il m’a été difficile, il est vrai, de concilier un mode de vie trop rapide avec ma façon de vivre ma foi dans l’Islam. Il m’a fallu opérer des choix, classer mes activités. Je peux dire que je n’ai pas rencontré de vrais obstacles car je suis dynamique et il y a, en tout homme, une grande capacité d’adaptation. Je suis vraiment à l’aise comme Marocain Musulman et comme Français professeur d’E.P.S.
P.M. Comment te sens-tu dans tes relations avec tes collègues enseignants ?
J’aurais préféré la question inverse afin de savoir ce que pensent les collègues. Honnêtement, je n’ai jamais eu de problèmes avec eux, grâce à un grand respect mutuel, à un effort d’intégration de ma part et d’acceptation de la part des autres. Je remercie mes collègues pour cette attitude.
P.M. Es-tu choqué par le peu d’esprit de foi apparent chez les élèves ?
Non ! Chacun à mon avis, vit sa foi à sa façon. Elle se vit très souvent à l’intérieur et peut se révéler à travers des attitudes, des gestes qui sont assez significatifs. Les jeunes sont plus croyants qu’on ne le pense.
P.M. Est-ce que ta présence dans l’Enseignement Catholique te paraît importante ?
Nous vivons actuellement une ouverture spirituelle et religieuse qui est extraordinaire. Les gens que je côtoie sont très ouverts. Même chez quelqu’un qui paraît fermé, quand je discute avec lui je découvre des richesses qu’il désire partager, à condition qu’il soit accepté tel qu’il est. Je me rappelle la période de la Guerre du Golfe. Nous avons vécu à Montalembert une réelle communion, notamment dans des temps de prière commune entre catholiques, protestants, juifs et musulmans. J’ai alors senti très fort la présence de Dieu parmi nous, une harmonie à tous les niveaux. J’ai même vu des collègues pleurer. Je voudrais ajouter que chaque fois que je pénètre dans une église, je ressens ce climat de foi, de paix et d’amour que recherchent tous les humains.
P.M. En tant que professeur d’E.P.S., sur quels points porte ton souci éducatif ?
Cela dépend des jeunes avec lesquels j’ai à travailler. Pour les jeunes de 5e-4e, il s’agit surtout de questions d’ordre affectif. Ils ont besoin de repères ; à cet âge, l’enseignant est un modèle d’identification, une image idéalisée. Au-delà des structures institutionnelles, ils recherchent l’adulte, l’ami, et le confident plus que l’enseignant. Celui-ci doit rester équilibré, stable et très sage, prêtant attention à tout ce qu’il dit et fait.
L’enfant est observateur : il ne faut pas le leurrer. Je cherche à l’aider à s’ouvrir aux autres, à faire ses choix ou au moins à lui donner les moyens de choisir. Je ne choisis pas à sa place. C’est à quoi je fais attention aussi avec mes deux filles, Nadia et Mariam. Pour les jeunes du lycée, à un âge où ils doutent d’eux-mêmes, je les accompagne afin qu’ils aient plus d’assurance. J’essaie de répondre à leurs préoccupations, à leurs questions d’ordre politique, social ou religieux.
Je ne donne pas « la » réponse toute faite mais des approches de réponses. C’est le rôle de l’école catholique car leurs questions dépassent le cadre éducatif. De nombreux éducateurs savent dialoguer avec eux ; je trouve cela formidable. En tant que musulman, je suis fier qu’une école arrive à concilier la démarche éducative et les recherches de l’enfant ou du jeune à tous niveaux, pour les filles comme pour les garçons.
P.M. Quels conseils donnerais-tu à un jeune ami marocain qui viendrait en France ?
Je lui dirais d’abord d’avoir confiance en lui, c’est primordial. Qu’il reste lui-même, sans vouloir copier les autres. Qu’il respecte ensuite la société dans laquelle il veut vivre, sa culture en prenant tout ce qui est positif et en apportant lui-même ce qui est bon, sans l’imposer. Qu’il ne cherche pas à marquer sa différence. Je n’ai pas à crier, à afficher ma foi. J’en parle seulement dans une situation de dialogue, d’échange amical.
Chaque religion est porteuse d’un message valable pour tous. Une religion est sacrée, elle apporte toujours une vérité. Souvent notre perception de la religion des autres est faussée car nous l’identifions trop facilement à un groupe donné d’individus, souvent fanatiques. Cela est grave. Une religion est une révélation venant de Dieu ; les hommes n’en font pas toujours un bon usage et donc en donnent une fausse image.
Il faudrait que chaque croyant soit vrai avec lui-même, aussi bien devant Dieu que devant les hommes !
Propos recueillis par Fr. Pierre Rousset
(Publié dans « Présence Mariste » n°201, octobre 1994)