Le Père Champagnat et les enfants

« Pour bien élever les enfants, il faut les aimer », (article de Fr Gabriel MICHEL dans « Présence Mariste » n°140, juin 1979)

L’époque du père Champagnat a connu la Déclaration des Droits de l’homme  ; la nôtre celle des Droits de l’Enfant (1959). A vrai dire l’idée de l’enfant considéré comme un être différent de l’homme commence avec Jean-Jacques Rousseau. Mais Marcellin Champagnat n’a sûrement guère lu l’Emile. Quand il commence son apostolat sous la Restauration on pense non pas aux idées généreuses et utopiques de Rousseau, mais aux urgences de l’instruction et de l’éducation : pas plus d’un enfant sur six n’est scolarisé.

UNE SOIF D’INSTRUCTION

La Restauration étant favorable à l’Eglise, compte sur celle-ci pour promouvoir l’instruction populaire, et le 19 février 1816 une ordonnance confie au curé conjointement avec le maire la surveillance de l’école communale. (Voir « Présence Mariste » n° 139, p. 2)

II y a peut-être là un péril clérical de droite comme en d’autres temps un péril clérical de gauche. Marcellin Champagnat a su éviter cet écueil. Jamais il n’a travaillé pour un régime politique, pas plus pour les légitimistes que pour les libéraux. Il s’est consacré aux enfants qui lui semblaient les plus défavorisés : ceux des campagnes et, autant qu’il le pouvait, les orphelins.

Pour lui l’enfant est sacré, mais il s’occupe de lui en réaliste. Il ne croit pas que l’homme est bon, mais qu’il est pécheur. Inutile d’ailleurs de penser, comme Rousseau, à une éducation avec un précepteur. Le problème est bien au contraire de réunir assez d’enfants pour avoir des groupes rentables, susceptibles de faire vivre un instituteur, car il faudra compter avec des conseil municipaux nui ne voteront guère de centimes additionnels.

fr Gabriel MICHEL au cours d’une conférence

Il faut aussi tenir compte d’une évolution dans les idées. En 1820, les gens influents se méfient encore de l’instruction populaire qu’ils tendent à réduire au strict minimum : lecture et calcul. En 1830 au contraire, l’instruction devient la panacée : ouvrir une école, c’est fermer une prison.

INSTRUIRE POUR EDUQUER

Pour Marcellin Champagnat, il s’aqit d’autre chose : le désir d’instruction est un signe des temps ; c’est un courant dans lequel il faut introduire ces barques que seront les écoles. Le courant les portera, car les parents veulent à tout prix faire instruire leurs enfants. Mais l’œuvre à poursuivre n’est pas une pure philanthropie limitée à la terre. Ou l’on croit en l’éternité, ou l’on n’y croit pas. Si j’y crois, je vais m’y préparer en me consacrant à mon prochain et en lui procurant tout sans tenir compte de moi-même, mais sans oublier non plus que son bonheur à lui est une chose minime ici-bas par rapport au bonheur éternel. Est-ce là un calcul égoïste ? Les croyants ne seraient pas désintéressés, paraît-il. Pour être désintéressé, il faudrait avoir les yeux fermés aux réalités surnaturelles ! Marcellin Champagnat n’a jamais perdu son temps à se poser de tels problèmes.

Il est vrai que le pluralisme religieux impose actuellement un plus grand sens de la liberté de l’autre. Il est vrai aussi que la Révolution avait déjà assez déchristianisé la France pour que cette situation pluraliste ait déjà pu avoir ce genre d’exigences, dans certains milieux, comme celui de l’Université.

Mais dans les campagnes religieuses du département de la Loire, lieu d’origine des premiers Frères, la question de respecter le pluralisme des idées religieuses aurait été une question purement théorique. Je doute fort que Marcellin Champagnat ait réellement eu affaire à des familles où l’on refusait la foi et la pratique chrétiennes au nom de « l’honnêteté envers soi-même ». Or il n’était pas le genre d’homme à se poser des questions hors du réel, de son réel.

LA VISEE DE L’AU-DELA

Dès lors, ses principes de pédagogie sont très simples : il faut viser un peu l’existence terrestre, mais surtout le bonheur éternel de l’enfant. Comment ? Par un dévouement constant et une présence auprès de lui.

« S’il ne s’agissait, dit-il, que d’enseigner les sciences humaines aux enfants, les Frères ne seraient pas nécessaires, car les maîtres d’école suffiraient a cette tâche. Si d’autre part, nous ne prétendions que donner l’instruction religieuse, nous nous contenterions d’être de simples catéchistes, de réunir les enfants une heure chaque jour et de leur enseigner les vérités chrétiennes. Mais notre but… est de les instruire de leurs devoirs, leur apprendre à les pratiquer, leur donner des sentiments surnaturels, des habitudes religieuses, les vertus du chrétien et du bon citoyen. Pour cela il faut que nous soyons instituteurs, que nous vivions au milieu des enfants et qu’ils soient longtemps avec nous ».

L’école est donc conçue en fonction d’une formation humaine et religieuse qui n’est pratiquement contestée par personne. Il n’est donc pas déconcertant de se proposer par exemple de rendre les enfants pieux. Et ce n’est pas un calcul de facilité, car comme les maîtres sont toujours avec eux, cela condamne d’avance une éventuelle conduite pharisaïque de leur part : dire une chose et en faire une autre. « Que votre lumière brille devant les hommes » ; cette phrase de l’Evangile exigera un constant effort de vérité, car si le Frère surveille tout le temps, il est aussi tout le temps surveillé.

On met l’accent sur la discipline, le silence, la tenue. Dans un monde calme où l’on ne manque pas d’air, ni de sommeil, ni d’occasion de se fatiguer physiquement, c’est relativement facile à obtenir. Cela donne à l’école un ton austère qui plaît aux tempéraments studieux et est finalement à peu près accepté par les plus volages.

Aujourd’hui on accepte un entraînement dur, exigeant, au sport : marche, voile, ski, etc.. et on est tout heureux de s’être endurci. Mais on a décidé qu’en dehors de cela, on n’avait rien à f… de ce qui était imposé. Or si le laisser-aller existait en fait à La Valla en 1820 sous la forme de chansons, livres ou bals licencieux, il restait condamné dans les consciences et on trouvait normal que les enfants reçoivent des principes rigides.

Exploiter Dieu pour rendre les enfants plus dociles est odieux, mais marcher sereinement avec Dieu et trouver due cela pacifie tout le monde en profondeur est sagesse. Il faut juger chaque arbre à ses fruits, au lieu de faire de la théorie sur les arbres. « Pourquoi ne jugez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste », disait Jésus aux pharisiens (Luc 12 57).

Marcellin Champaqnat tenait peu compte des théories. Les théoriciens, eux, trouvaient que la piété dans ses écoles était exagérée. Mais ceux qui jugeaient l’arbre à ses fruits se laissaient interpeller par les résultats :
« Je ne comprends pas,
disait un vicaire, ce que les Frères disent à ces enfants ; ils les tiennent des heures entières sans les ennuyer. » Et le curé de cette même paroisse renchérissait :
« II faut être curé ou confesseur pour connaître le bien que les Frères ont fait depuis qu’ils sont ici. »

Un résultat comme celui-ci, ce ne sont ni les structures ni les principes qui l’obtiennent. C’est le zèle :
« Oh ! qu’il y a de différence disait le Père Champagnat, entre un Frère qui enseiqne en apôtre et par esprit de zèle, et un autre qui fait l’école comme il ferait un métier. Toutes les paroles, toutes les actions du premier étant vivifiées par la charité, sont des œuvres de zèle, tandis que pour l’autre, elles sont des œuvres mortes. »

EDUQUER, C’EST AIMER

Or le Père Champagnat communiquait le zèle à ses Frères parce que lui-même en était plein. Il ne pouvait voir un enfant sans avoir envie de lui faire le catéchisme.

C’est à partir de cet amour qu’il faut juger des manières d’agir que les maîtres du soupçon nous ont habitués à regarder d’un œil sourcilleux. Quand le Père Champagnat, à Paris, voit de petits mendiants, il leur fait d’abord réciter le catéchisme et il leur donne ensuite le « petit sou » qu’ils demandent, pour les encourager à mieux l’apprendre. Il y en a un qui ne sait rien. Il lui dit :
« Je vous donne quand même un sou, mais la prochaine fois, si vous savez telle partie de votre catéchisme, je vous donnerai 5 sous. »

Eh bien, moi je trouve qu’il y a là un véritable amour de l’enfant et une considération profonde de sa qualité de fils de Dieu. On l’aide à la fois matériellement et spirituellement. On n’a pas le temps, on voudrait faire mieux, mais on se sert de cet argent inique dont parlait Jésus pour faire monter une âme un peu plus haut. Ce n’est guère transposable aujourd’hui, mais il faut l’apprécier dans son contexte.

Le Père Champagnat savait tellement se faire aimer des enfants quand il était à La Valla, que ceux-ci se faisaient une fête de venir à son catéchisme. Un jour tous ceux d’un hameau ont pris un clair de lune pour une aurore et sont arrivés à l’église bien avant l’heure. Ils avaient trouvé quelqu’un qui leur disait des choses essentielles. Et pour un effort pénible comme celui d’une confession c’est à lui aussi qu’ils s’adressaient le plus volontiers, car il savait les aider.

Qu’il me soit permis de citer brièvement un cas qui montre à quel point le Père Champagnat savait aimer un enfant sans tous les préjugés de l’époque. Il s’agit d’un orphelin : Jean-Baptiste Berne qui porte le nom de sa mère, parce que celle-ci l’a eu avant un mariage qui vient un peu plus tard, mais aggrave plutôt la situation de l’enfant. Quand la mère meurt en 1820, il a 9 ans. C’est vraiment une graine de galérien, un insoumis. Marcellin le prend, le confie à ses tout premiers Frères qui sont vite découragés et veulent le renvoyer. Il insiste, réinsiste, a finalement gain de cause. Et puis un jour le petit voyou change de conduite, demande à faire sa Première Communion, puis plus tard à se faire Frère. Le P. Champagnat le fera patienter assez longtemps, mais finalement l’admettra. J.-B. Berne mourra deux ans après, à 21 ans, comme un saint, dit le chroniqueur de l’épisode.
« Pour bien élever les enfants, il faut les aimer »,

disait Marcellin Champagnat.

G. MICHEL.

(Publié dans « Présence Mariste » n°140, juin 1979)

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