Éduquer, c’est espérer

Comment l’école catholique peut-elle contribuer à développer des germes d’espérance chez les jeunes ? (Publié dans « Présence Mariste » n°277, octobre 2013)

Comment l’école catholique peut-elle contribuer à développer des germes d’espérance chez les jeunes ? N’est-ce pas là une question provocante dans le contexte actuel ?

Dans le domaine économique, social et mondial

M. Paul Malartre

Il n’est pas utile d’insister pour observer que nous vivons une conjoncture économique et sociale qui se décrit en termes de crise et de recul plutôt qu’en termes de perspectives et de progrès. Ce contexte influence forcément les jeunes au cours de leur scolarité quand ils entendent dire régulièrement que le chômage frappe fortement les 18-25 ans ou que l’ascenseur social est en panne. Ils se demandent s’ils pourront vivre matériellement aussi bien que leurs parents. C’est d’ailleurs la première fois depuis longtemps que se pose ce genre de question.

À ces craintes liées à la conjoncture nationale et européenne s’ajoutent celles qui concernent l’avenir de la planète. Quand on additionne les risques liés au réchauffement climatique, à la prolifération des armes nucléaires, à l’économie mondiale dérégulée, on peut comprendre que des jeunes aient du mal à trouver dans cette actualité des germes d’espérance pour les générations futures.

Dans le domaine éducatif

Les enseignants observent que nous changeons de plus en plus vite de génération d’élèves. Cela se traduit par des réactions et des comportements d’enfants qui peuvent surprendre et dérouter. Ce qui allait de soi ne va plus forcément de soi. Il n’est plus de règles de vie spontanément admises par tous. Alors les enseignants se heurtent à ce que l’on nomme l’absence de repères, en particulier dans le champ éthique, et à la difficulté de faire comprendre le pourquoi de l’autorité. Ils peuvent se sentir déstabilisés. Pour l’éducateur, cette réalité vécue au quotidien peut rendre plus difficile l’attitude d’accueil des richesses des générations nouvelles.

Mais un éducateur qui se laisserait atteindre par la contagion d’un contexte général pessimiste, voire fataliste et qui jugerait que le contexte éducatif se caractérise seulement par une difficulté croissante pourrait-il être vraiment éducateur ? Il n’est pas possible d’en rester à ces constats. La difficulté d’un contexte ne peut occulter les fortes attentes des jeunes ; cette difficulté est une bonne occasion, au contraire, de se réinterroger sur le sens de l’acte d’enseigner et d’éduquer.

Tu vaux mieux que tu laisses paraître
© FMS

Éduquer, c’est espérer

Pour l’Enseignement Catholique, cette conviction s’appuie d’abord sur l’affirmation qu’un élève est plus qu’un élève. Il serait souvent difficile de développer des germes d’espérance si nous réduisions un élève à ses résultats scolaires ou à ses comportements en classe. Une mère qui venait d’entendre beaucoup de propos sévères sur son fils lors d’une réunion de parents ne put s’empêcher de répondre à un professeur : "Ce n’est pas que ça mon fils !" Elle voulait dire : « Moi qui le connais bien, je sais qu’il vaut mieux, que vous avez une vision très partielle de lui ».

Un élève est une personne en ce qu’il est unique ; à ce titre il mérite une attention particulière. Un élève est une personne en ce qu’il est mystère ; non pas mystère au sens où je ne le comprendrai jamais, mais au sens où je n’aurai jamais fini de le comprendre.

Il est personne en ce qu’il n’est pas programmé : l’élève n’est pas l’addition de son histoire antérieure, d’influences, de chances et de handicaps. La personne, parce qu’elle n’est pas la somme de conditionnements, est de l’ordre de l’inattendu. C’est dire en particulier qu’un élève qui ne réussit pas…peut réussir.

Au nom de cette conviction que tout élève peut surprendre, peut cacher des talents qu’il appartient à l’éducateur de révéler, nous ne pouvons pas ne pas croire en son avenir. Le contraire de l’acte éducatif c’est de désespérer d’un élève. Les germes d’espérance trouvent leurs racines dans ce pari sur l’avenir de tout élève.

Ces germes, très concrètement, passent par des appréciations sur les bulletins qui ne portent pas de jugements définitifs, par des propos en conseil de classe qui ne condamnent pas ; par, s’il le faut, des sanctions qui transforment les trous d’air en tremplins. En effet, si la confiance stimule positivement, l’exigence fait grandir.

Comme la confiance, l’exigence est elle-même germe d’espérance : je t’encourage parce que je sais que tu en as besoin ; je te sanctionne parce que je sais que tu vaux mieux que ce que tu laisses paraître de toi et parce que rien n’est jamais définitivement joué.

Les bonnes surprises dans le parcours d’un élève, celles qui défient tous les pronostics dont il faut se méfier, s’expliquent par cette foi en l’avenir de tout élève considéré dans ses aspirations intellectuelles, mais aussi affectives, relationnelles, spirituelles.

Au nom de quoi tenir bon sur l’espérance éducative ?

L’Enseignement catholique fonde son projet éducatif sur un sens de la personne de l’élève éclairé par l’Évangile. Cette référence à l’Évangile n’est pas théorique ; elle nous éclaire sur la relation éducative, sur l’art d’enseigner et d’éduquer.

Affirmer que l’élève est plus qu’un élève
© Bourg-de-Péage-Les Maristes

Dans ses rencontres, le Christ n’a jamais porté de jugement définitif, n’a jamais condamné. Ainsi Zachée ou la Samaritaine, que l’on pouvait considérer comme de mauvais « élèves », ont été transformés par le regard confiant et exigeant du Christ. En ne les enfermant pas dans leur passé, dans leurs « résultats », le Christ a rejoint leurs aspirations profondes et leur a ouvert un avenir inattendu.

Ainsi, pour l’élève, les germes d’espérance trouvent leur source dans le regard que l’éducateur porte sur lui. Nous pensons alors à cette belle observation de Ste Bernadette : « Les regards qui nous aiment sont ceux qui nous espèrent ». Nous pensons aussi à ce propos de l’abbé Pierre : « Aucun homme n’est sans avenir ; tout dépend du regard que l’on porte sur lui ».

Pour l’éducateur qui partage la foi chrétienne, ce regard, source de germes d’espérance, trouve sa raison profonde dans un certain matin de Pâques. L’éducateur sait alors que les semences éducatives qui peuvent paraître enfouies À JAMAIS produisent toujours des récoltes.

Alors, malgré la difficulté du contexte, malgré une lassitude parfois bien compréhensible, malgré l’impatience éprouvée devant un élève qui semble ne pas vouloir progresser, l’éducateur saura discerner en tout jeune, au-delà des apparences, des graines de résurrection.

Paul MALARTRE
Ancien Secrétaire général de l’Enseignement Catholique
(Publié dans « Présence Mariste » n°277, octobre 2013)

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