« Ta main me conduit »

Témoignage d’une soeur mariste, née dans le pays de Redon (Ille-et-Vilaine). (« Présence Mariste » n°216, juin 1998)

(Avertissement paru au début de l’article dans la revue)

Nous avions demandé à Sœur Thérèse de nous dire le travail de l’Esprit et de Marie dans sa vie. Elle a fait cela magnifiquement. Malheureusement, il ne nous est pas possible de publier son beau témoignage dans son intégralité. Nous la prions de bien vouloir nous en excuser.
Ci-dessous le témoignage a été rétabli dans son intégralité : passages en bleu et entre crochets. Des intertitres ont été ajoutés pour faciliter la lecture.

"Ta main me conduit, ta droite me saisit.
Tu as posé sur moi ta main."

Dans le pays de Redon, le 5 février 1929 naissaient des jumeaux : Jean et Thérèse, un gros garçon, une toute petite fille. Allait-elle vivre ? Le vicaire de la paroisse venait de temps à autre voir si ce bout de chou était encore en vie !

[ Baptême, le 11 février, dans la neige et le froid. Sur le chemin du retour, la grand’tante qui portait la petite Thérèse l’a (dit-on) perdue dans la neige ! 1km5 à pied dans la neige après avoir fêté ces deux baptêmes avec des oncles et des tantes bons vivants, il fallait bien une aventure.
Les jumeaux ont grandi : six ans, une nouvelle vie commence avec l’école. Grand’mère habite une maison entre l’église et l’école des filles, c’est elle qui prépare le repas de midi pour ses petits enfants. Elle aurait aimé me garder le soir, sans doute pour m’éviter la fatigue du chemin, surtout les jours de pluie et moi, je restais à contre cœur, mon frère me manquait et la maison aussi. Lorsque maman essayait de me comprendre, je lui disais : ’grand’mère ne sait pas me coiffer !’]

Dans la maison de grand-mère une chambre était réservée pour ses fils ; le plus jeune après son ordination chez les capu­cins était parti en Inde, l’aîné avait rejoint son frère après quelques années dans le clergé séculier.

[ Ce dernier a toujours vécu en France et passait au pays lorsqu’il se trouvait dans la région ]

« C’est ma petite fille Thérèse, elle sera religieuse »

Un matin, nous descendions ma sœur et moi pour aller à l’école, grand-mère nous guettait pour nous pré­senter à deux sœurs qu’elle avait hébergées durant la nuit.
« C’est ma petite fille Thérèse, elle sera religieuse » !

Ce désir de ma grand-mère était-il pro­phétique ? C’était fait, Dieu avait lancé son premier appel, j’avais six ans,

[ mon prophète nous a quittés subitement, le 13 janvier 1935, laissant le souvenir d’une femme merveilleuse, elle avait 63 ans.]

A la fin de mes études chez les Sœurs de l’Immaculée, j’ai parlé à notre aumônier, un prêtre très proche des jeunes, de mon désir d’être religieuse.

[ Envoyée comme institutrice dans une école primaire tenue par les soeurs, près de Vitré, nous avions des journées de formation pédagogiques très régulièrement et des journées d’anciennes avec notre Père aumônier à qui, un jour, j’ai reparlé de mon désir. ]

« Sœur X… est là, me dit-il, vous devriez lui parler. »
—Non, ai-je répondu, je veux être mis­sionnaire."

Trois ans passés dans cette école de Bretagne, une proposition m’est faite d’aller dans la région pari­sienne où une cousine et son mari enseignaient déjà, à l’école de garçons.

Institutrice dans la région parisienne

[ Avec une jeune institutrice du pays, nous sommes parties pour l’école des filles dirigée par une soeur de St Paul de Chartres. Nous habitions toutes les deux à l’école, un petit appartement où nous vivions comme des soeurs.
Un dimanche, nous avions toutes les deux, préparé l’entrée en carême de nos élèves : ’Le retour de l’enfant prodigue’ : une couronne d’épines à couvrir de roses.
Notre appartement, comme les classes d’ailleurs, était chauffé par un poêle à charbon, ce jour-là, il n’y avait pas de tirage, il faisait froid. Je me suis couchée la première et dormais déjà lorsque ma compagne est venue dans la chambre. Prise de malaise, le matin, elle s’est levée et s’est traînée jusqu’à la fenêtre pour ouvrir. Voyant que je répondais pas à ses appels, elle a mis son manteau pour aller chercher du secours, chez les soeurs, à cent mètres de l’école.
L’air frais chassant le gaz carbonique, j’ai repris mes esprits pour sortir du tunnel, tout étonnée de voir les pompiers autour de moi.

"Que faites-vous là ? Que se passe-t-il ?
L’heure du retour au Père n’avait pas sonné ! Après un bon déjeuner, avec un peu de retard, nous avons retrouvé notre classe respective.
Le soir, un des abbés me croisant à l’entrée de l’église, me dit :
"Vous étiez prête ?
— Oui, bien sûr !

Et dans le secret, je pensais : je n’aurais pas eu à me soucier d’entrer dans la vie religieuse !
La couronne préparée dans ma classe n’était pas couverte de roses !]

Le « cher oncle » me dissuade d’entrer les Soeurs [Maristes]

L’oncle capucin, de passage à Paris, vient nous voir, il connaît les intentions de sa nièce et lui donne les dates de retraites des cinq jours avec Notre Dame. D’accord, je m’inscris pour celle de juillet, à l’Adora­tion de Rennes. Cette retraite est prêchée par un Père mariste qui me passe le petit livret : « Mon pays de là-bas ». Des sœurs missionnaires et pourquoi pas ? J’écris à Massabielle pour demander mon admission, chez les Sœurs maristes.

« Massabielle » (Val d’Oise), autrefois Noviciat des Soeurs Maristes.
Cette illustration ne figure pas dans la revue « Présence Mariste »

Le cher oncle, mis au courant, passe à la maison, me dissuade d’entrer chez ces sœurs qu’il ne connaît pas.
"Les Sœurs franciscaines cher­chent des institutrices pour Djibouti, va donc faire une expé­rience missionnaire là-bas

[ et tu auras l’occasion d’aider ton oncle qui est en Ethiopie depuis un an. Prie, réfléchis un petit peu, donne ta réponse."
J’ai prié, réfléchi un petit peu, voyant tous les avantages de cette proposition alléchante et donné mon oui aux soeurs qui demandaient des institutrices. Quelle bonne aubaine !
]

Départ pour Djibouti

La Directrice, avertie un peu tard, à Arpajon, m’a demandé de faire la rentrée scolaire en attendant ma remplaçante. Au bout d’une semaine, je prenais l’avion pour atterrir sur la terre africaine, à peu près en même temps que le groupe qui m’avait précédée en bateau.]

A la fin de l’année scolaire, (à Djibouti) nous avons regagné la France pour les quatre mois de vacances. Nouvelle retraite à Rennes, même prédicateur, ma décision s’affirme, mais j’ai promis d’être là pour une nou­velle année à Djibouti.

[ A la fin de l’année scolaire, nous avons regagné la France pour les quatre mois de vacances. Nouvelle retraite à Rennes, même prédicateur, ma décision s’affirme, mais j’ai promis d’être là pour une nouvelle année scolaire à Djibouti.

L’oncle m’invite à un voyage dans le Nord de la France où il travaille près des aveugles ; aux prochaines vacances il me fera connaître les soeurs franciscaines.

Une nouvelle année scolaire s’amorce, départ de Marseille en bateau, panne de neuf jours à Suez : belle occasion de visiter l’Egypte !
Au mois d’octobre, l’oncle se fait opérer de la vésicule biliaire et meurt sur la table d’opération. ]

Entrée au noviciat des Soeurs Maristes à Saint-Prix (Val d’Oise)

En juin, retour définitif en France. Une troisième retraite à Rennes, je renouvelle ma demande chez les Sœurs maristes. Une semaine à Lourdes avec la Vierge de Massabielle qui m’accompagnera à cet autre Massabielle de Saint-Prix, le 29 Septembre 1955. Sainte Thérèse est avec moi, le jour de sa fête pour mon entrée au noviciat, revêtue de la fameuse robe noire.
Nous étions quatre dans cette pro­motion. Les quatre ont tenu bon et continuent d’œuvrer, l’une au Sénégal, une autre en Colombie, l’autre en Italie et moi-même au berceau de la congrégation. Faites une visite à ce « berceau de la congrégation » !

Au Sénégal avec une mission dans la « brousse »

Après quelques années dans l’enseignement pri­maire à Toulon, mes supé­rieurs m’ont envoyée dans le collège des Pères maristes à Dakar en m’écrivant que c’était le premier pas vers la brousse. C’est à mon dernier septennat au Sénégal qu’elle est venue cette brousse si attrayante par ces vastes étendues de sable parsemées d’arbustes au feuillage résistant et d’épineux, garde-manger du bétail pen­dant la saison sèche.

[ Les soeurs maristes avaient ouvert la mission de Louga où résidait un Père spiritain et travaillaient depuis une dizaine d’années à l’école, au dispensaire et en brousse, gagnant ainsi la confiance de toute la population musulmane. Avec les deux fidèles Sénégalaises formées par les soeurs j’ai continué la surveillance nutritionnelle des enfants dans les villages dans un rayon de cinq à six kms. Nous avions une dizaine de villages visités régulièrement chaque mois.

Ces jours de pesée étaient une fête, à 8h nous partions quatre dans la 2 CV pour voir deux groupes sur un même trajet. Bien souvent les mamans étaient regroupées et nous attendaient sous l’œil vigilant de la responsable. Bator, dans un groupe, Yacine, dans l’autre veillaient à la distribution des vivres organisée par les femmes et assuraient la causerie en fin de pesée. ]

« C’était la grande attraction de tout le village » !

[ C’était la grande attraction de tout le village, surtout pour les enfants petits et grands non scolarisés. Ceux qui avaient la chance d’aller à l’école, logaient en ville, chez un parent. Il est arrivé plusieurs fois que nous étions retardées par une crevaison ou un autre ennui technique, les bassines devenaient alors tam tam et on dansait en nous attendant ; des applaudissemets nous accueillaient.

Dans certains villages, trop difficiles d’accès, après plusieurs essais malheureux, nous laissions la voiture au bord de la route pour monter dans une charrette à cheval. Les gens avaient soin d’y mettre ou un tapis, ou un matelas mousse ; nous étions tellement bien dans ces carioles ! Quelle gentillesse de la part des conducteurs toujours premiers sur la route !

Dans un de ces villages où je m’ensablais souvent, je suis arrivée un jour en disant : « Je vais écrire au président pour demander une route. »
L’après-midi, la responsable est venue à la mission avec un poulet et m’a dit : « Tu écris au président ! »
Le chef des travaux publics, catholique originaire du Sud, me conseille d’en parler d’abord au Gouverneur de la région. La semaine suivante, au retour d’une pesée, nous passons par la gouvernance, une chance, notre ami des travaux publics est sur le parking ; ensemble nous allons chez le gouverneur qui écoute et prend note.

La nouvelle piste de sable rouge

Le mois suivant, nous nous trouvons devant une magnifique avenue de sable rouge, malheureusement trop léger ; les participants au rallye Paris-Dakar auraient peut-être filé sur cette jolie piste mais notre 2 CV avait tellement de mal à avancer que nous avons cru ne jamais atteindre le village ! La charrette a repris l’habitude de nous attendre chaque mois. La route commencée a-t-elle été achevée un jour ?

Dans ce village, lorsque nous arrivions pour la visite des enfants, le responsable du magasin de vivres sifflait pour avertir les mamans, tout était près pour la pesée. Un matin, c’est un couvercle de cercueil qui maintient la porte ouverte ! … ??? Un homme parti travailler en France est mort dans un accident de voiture, son corps rapatrié, la famille a gardé le coffre en bois avant d’enfouir le cercueil de plomb dans le sable.]

Ma dernière tournée dans les villages a été un crève-cœur ; j’ai tant aimé ce monde de la brousse ! Ces gens n’ont rien, se contentent de si peu pour survivre et ils sont heureux !

[ Vous leur rendez visite, chaque famille vous donnera un œuf, ou une poignée d’arachides …

Lorque j’ai quitté la mission tout en allant accueillir deux soeurs à Dakar, Moussa, notre ami, était là pour fermer la porte du jardin et me dire au revoir. Nous avons connu ce jeune homme, marchant à quatre pattes, s’accrochant au grillage du jardin pour ouvrir la porte. Aidé et encouragé par un coopérant qui lui a procuré des cannes, il a marché debout, passant une grande partie de ses journées à la mission. ]

J’ai beaucoup apprécié ces années au milieu d’un peuple musulman si religieux. [ Cinq fois par jour, l’appel à la prière résonne sur la ville, vous ne pouvez pas ne pas l’entendre ! « Louga est un immense monastère, » disait un Père. Une grande sympathie s’est installée entre musulmans et catholiques venus pour le commerce ou comme fonctionnaires et tous vivaient en bonne entente, les uns faisant participer les autres à leurs fêtes religieuses. Ainsi nous avions double fête. ]

En revoyant tout ce que le Sei­gneur a fait pour moi, je peux dire avec Marie :
" Mon âme exalte le Seigneur, II a fait pour moi des mer­veilles."

Une sœur mariste

(Publié dans « Présence Mariste » n°216, juin 1998)

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