Pèlerinage chez les Hindous

Une rude épreuve physique !

Sa passion pour l’ethnologie a conduit Daniel POUGET à faire de longs séjours en Inde, à Bali, à Ceylan… et aussi parmi les Inuits. Pour les lecteurs de Présence Mariste, il a bien voulu nous raconter sa participation à des pèlerinages en Inde. Nous l’en remercions.

On sait ce qu’est un pèlerinage dans le monde chrétien. Mais qu’en est-il dans l’hindouisme que vous connaissez bien ?

Tout hindou se doit de faire un ou plusieurs pèlerinages dans sa vie. Souvent la promesse en est faite, devant le brahman, au moment du mariage. Ce pèlerinage peut s’accomplir dans un lieu où l’on vénère la trinité hindoue : Brahma, Vishnou et Shiva, ou les divinités locales, subdivisions de cette trinité fondamentale.

Quelle est la géographie de ces lieux de pèlerinage ?

Fig. 1 : Prières-offrandes aux divinités hindoues

Ces lieux de pèlerinage sont dispersés sur tout le territoire, certains sont plus particulièrement célèbres, comme le pèlerinage aux sources du Gange. Des foules énormes s’y rassemblent pour se purifier dans le fleuve sacré, et prier la divinité. C’est un pèlerinage coûteux et physiquement épuisant.

Vous avez participé à ce pèlerinage. Comment l’avez-vous vécu ?

Dans le Jaïnisme, caste de gens aisés, des pèlerins ont pris une année sabbatique. On en voit le long des chemins et des routes, totalement nus, équipés d’une bouilloire d’eau, pour avoir toujours de l’eau à disposition, et d’un petit balai pour frotter le sol en permanence. Ils croient en la réincarnation et que l’on ne doit attenter à aucune vie. Au point qu’ils se mettent un bandeau sur la bouche, pour ne pas avaler un moucheron en vol.

Ces pèlerins parcourent, nus, des centaines de kilomètres, accompagnés par des fidèles qui font avec eux un bout de chemin, nourris par les habitants des villages. Un jour je contemplais ce chef-d’œuvre de marbre qu’est le temple de Ranakpour au Radjastan et l’un de ces hommes nus est venu s’asseoir à côté de moi. Cet homme, d’une cinquantaine d’années, parlant un anglais parfait, était directeur commercial dans une des plus grosses entreprises indiennes d’automobiles. Il m’a entraîné dans un monastère où vivait un groupe d’intellectuels. J’y ai passé une semaine. On aurait volontiers fait de moi un adepte.

Fig. 2 : A Bénarès, sur le bord du Gange

Vous avez fréquenté d’autres pèlerinages ?

Oui, au Cachemire, dans un pèlerinage collectif. On part de Srinagar, la capitale, pour gagner la montagne d’Ammanarth. Tous les pèlerins se rassemblent au pied de la montagne pour la gravir, en trois jours, par des sentiers de chèvres. Ils sont 30 000 personnes environ chaque année. La plupart montent à pied, quelques privilégiés à dos de mule, ou portés dans des palanquins, dans des conditions extrêmement difficiles, pour atteindre un col à 5 200 m. d’altitude.

On arrive à une grotte où se trouve un bloc de glace, haut de 3 mètres environ. Ce bloc de glace est censé être le sexe de Shiva. On raconte que Shiva avait été incarné en un beau berger, musicien de talent. Il séduisit beaucoup de jeunes femmes, mais ses nombreuses conquêtes inquiétèrent les brahmanes qui lui reprochèrent sa conduite. Shiva comprend alors le mal qu’il a commis et se punit en arrachant son sexe qu’il plante en terre. D’où les représentations phalliques que l’on voit dans les temples hindous.

Après ces trois jours d’ascension périlleuse, les pèlerins arrivent, hommes, femmes et enfants, dans un grand état de fatigue. À 5 200 mètres, on manque d’oxygène. Ils sont mal chaussés et certains marchent même pieds nus dans la neige.

J’ai participé deux fois à ce pèlerinage. La première fois, j’étais trop chargé, avec une lourde caméra. Je n’avais pas de couverture et pas de tente. La seconde fois, j’avais loué une mule pour porter mon barda. J’avais compris la difficulté. Certains glissent, se cassent des membres. D’autres disparaissent dans les bas-fonds. On se bouscule à l’entrée de la grotte et, chaque année, plusieurs meurent étouffés. Une année, on a compté 80 morts…

Tous les pèlerinages ne sont pas aussi périlleux ?

Non, mais tous témoignent d’une foi profonde qui m’a toujours très impressionné. Il y a par exemple les pèlerinages des Tamouls de l’Inde du Sud. Chaque année ils vont rendre hommage à une sous-divinité, Mounouga, un charmant jeune homme, mais qui est aussi le dieu de la guerre. J’ai vécu ce pèlerinage à l’île Maurice.

On s’y prépare par 11 jours de jeûne où l’on ne consomme que quelques céréales et du lait. Deux jours avant le pèlerinage, on se met en prière dans le temple. Dans la nuit qui précède, les familles travaillent à la réalisation d’un kavadi, bloc constitué de bambous, avec une ornementation de fleurs qui copie la forme de la statue du dieu, ou présente la forme du paon, ou encore de nandi, le taureau qui servit de monture à Shiva. C’est pourquoi la vache, femme de Nandi, est sacrée aux Indes.

Fig. 3 : Les « barques » à Bénarès

Cette composition florale pèse une quarantaine de kilos. Dans chaque famille, il y a un pèlerin que tous accompagneront. Le matin du jour, on se rassemble près de la rivière sacrée pour s’y purifier et des brahmanes récitent des mantras aux oreilles du pèlerin, le mettant ainsi dans un état d’extase et de transe. Ensuite, on lui plante dans le corps des aiguilles d’argent et on lui accroche des crochets dans la peau, où l’on suspend des fruits. Le brahmane enfonce dans sa joue une aiguille d’argent qui traverse la bouche en surfilant la langue, puis ressort de l’autre côté. Le pèlerin chausse ensuite des sandales à clous, les clous sont sous les pieds, et il doit parcourir 7 kilomètres, en 7 heures, en tirant son kavadi. Le pèlerin divinisé, enjambe des corps d’enfants déposés à son passage, pour leur transmettre sa divinisation et ainsi les protéger.

Au terme de ce parcours, il gagne le temple par 700 marches. Il arrive dans un état d’épuisement qu’on imagine. Et il devra encore faire 7 fois le tour du temple en chantant et en dansant…

Interview réalisée par Bernard Faurie
(paru dans Présence Mariste N° 257, octobre 2008)


On écouterait longtemps Daniel Pouget !… Il a aussi écrit le récit de son amitié avec un chaman de Mongolie Le Confident du ciel. Il a eu en charge le musée d’Allard à Montbrison et le musée de Feurs. Il est le fondateur du Musée des Civilisations de Saint-Just-Saint-Rambert. Il reçoit pour des visites guidées dans son musée privé, et se fait un plaisir d’y accueillir les visiteurs et de leur faire partager ses expériences.

Notes relatives aux illustrations :

  • Fig. 1 : Fête de Puja à Bénarès : ce sont des prières-offrandes aux divinités faites par les pèlerins par l’intermédiaire des brahmanes (prêtres).
  • Fig. 2 : Les Marches (Ghât, en hindou) qui descendent vers le Gange à Bénarès sont dédiées aux différentes divinités.
  • Fig. 3 : Plutôt que de longer les rives du Gange, à pied, de nombreux pèlerins prennent des barques, pour rejoindre le Ghât de leur choix, correspondant à la divinité qu’ils veulent vénérer.

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut