n° 282 Sources

Du bâton et de la carotte à la houlette du berger

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Persister dans son mécontentement, dans son inflexibilité, c’est prouver d’une manière très significative qu’on n’aime pas son enfant. (Présence Mariste n°282, janvier 2015)

Dans l’antiquité grecque, le pédagogue est un esclave qui conduit les enfants à l’école. Là, il les remet aux mains du maître. On imagine le retour des enfants bavardant avec leur pédagogue, lui racontant leurs petites misères et, surtout, les méthodes dures et spartiates du maître.

De l’école de servitude…
Montaigne

Ces méthodes étaient plutôt rudes, et c’est là un euphémisme. Les maîtres terrorisaient les enfants par leur brutalité. Crainte et émulation, le bâton et la carotte, étaient les seuls ressorts pédagogiques. Il en sera ainsi très longtemps encore. Inutile d’accumuler les exemples. Deux suffiront, pris dans des temps relativement plus proches des nôtres. Dans ses Confessions, Saint Augustin raconte :
« On m’envoya à l‘école pour apprendre à lire. J’ignorais l’utilité de cette étude, pauvre petit ! Et pourtant, si j’étais paresseux à apprendre, on me battait. Les grandes personnes vantaient ces pratiques. Nos prédécesseurs nous avaient tracé ces voies douloureuses, par où nous étions forcés à passer ».

C’était à la fin du 4e siècle.

Un peu plus de dix siècles plus tard, Montaigne écrit, dans ses Essais, au chapitre sur l’éducation des enfants :
« Au lieu de convier les enfants aux lettres, on ne leur présente à la vérité qu’horreur et cruauté… Vous n’entendez que cris, et d’enfants suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère… ».

On n’en est heureusement plus là ! On a pourtant écrit récemment que l’école est encore un « univers pédophobe ». La bienveillance dans l’éducation est aujourd’hui à l’ordre du jour. C’est assez dire qu’il reste sans doute beaucoup à faire !

… à l’école de la bienveillance…

Mais ce n’est pas d’hier que l’on s’en préoccupe. On lit dans la Bible, au livre du Siracide (20, 1), écrit près de deux siècles avant Jésus-Christ, cette recommandation de bon sens :
« Il y a une réprimande intempestive et il y a un silence qui dénote un homme sensé. Mieux vaut reprendre que couver sa colère et celui qui reconnaît ses torts s’en tirera sans préjudice ».

Je citerai aussi le Talmud, ce grand livre des Juifs. Un sage reconnaît :
« J’ai beaucoup appris de mes maîtres, de mes collègues encore davantage, mais de mes élèves plus que de tous ».

Le pape François, bon berger pour notre temps

Au premier siècle de notre ère, Plutarque écrit un petit livre Sur l’éducation des enfants.
« Je ne suis pas d’avis, dit-il, que les pères se montrent âpres et intraitables. Il est nécessaire que souvent ils passent à un jeune homme quelques-unes de ses fautes, se rappelant qu’eux-mêmes aussi ils furent jeunes … Ils doivent à la sévérité des réprimandes allier l’indulgence. Persister dans son mécontentement, dans son inflexibilité, c’est prouver d’une manière très significative qu’on n’aime pas son enfant… Avant tout il importe que les pères, par l’abstention de la moindre faute et par l’accomplissement parfait des devoirs présentent un modèle frappant à leurs fils pour que ces derniers, portent les yeux sur la conduite paternelle comme sur un miroir. Ceux qui réprimandent leurs enfants sur les fautes qu’ils commettent eux-mêmes ne s’aperçoivent pas qu’en accusant leurs fils, ils deviennent leurs propres accusateurs. Quand on a une conduite mauvaise, on s’interdit le droit d’adresser des reproches à ses enfants ».

Ces recommandations ont toujours été d’actualité. Molière fait dire à l’un des personnages de l’École des maris :
« Il nous faut en riant instruire la jeunesse ; reprendre ses défauts avec grande douceur ».

Mais la bienveillance ne se décrète pas par des lois et des décrets. On peut multiplier les « conseils pour développer une bienveillance à l’école », pour instituer une « École de la bienveillance ». Il y faut surtout des professeurs qui soient eux-mêmes bienveillants. Les méthodes et les recettes ne sauraient suffire.

… et à l’école de l’évangile.

Si j’ai cité Plutarque, c’est que Plutarque (50-120) écrit au temps même où nos évangiles sont rédigés, et la citation fournit ainsi une transition. Plus clairement, cette transition oriente vers le Nouveau Testament puisque l’apôtre Paul écrit, lui aussi, dans sa lettre aux chrétiens d’Éphèse :
« Vous, parents, ne révoltez pas vos enfants, mais élevez-les en leur donnant une éducation et des avertissements inspirés par le Seigneur »
(Eph 6, 4).

Retour du fils prodigue

Ce qui semble le mieux convenir à notre sujet c’est bien la parabole de la brebis perdue dans l’évangile de Luc (15, 4-7). Jésus répond à l’indignation de certains :
« Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ».

De la parabole elle-même on retient l’image du berger portant la brebis perdue sur ses épaules, une brebis épuisée par son aventure. Mais ce qui n’est pas dit et qu’on peut deviner, c’est que le berger n’a pas abandonné à elles-mêmes les quatre-vingt-dix-neuf autres dans un désert hostile : il a sans doute pris soin de les confier à d’autres bergers ou, au moins, de les mettre à l’abri de tout danger. Quoi qu’il en soit le sens de la parabole est bien
« Qu’il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion »
.
Le même enseignement se retrouve dans la parabole du fils prodigue (Luc 11,5-2) où le personnage central n’est pas le fils, mais le père, et qu’il conviendrait donc mieux de nommer : la parabole de l’amour de Dieu. Ces paraboles expriment à merveille la bienveillance de Jésus et peuvent inspirer le comportement d’un pédagogue chrétien.

Une anecdote rapportée par Frère Avit dans ses Annales de l’Institut des Frères Maristes est un bel exemple de la bienveillance de Marcellin Champagnat. Un jour, dans une école, un tout jeune Frère s’était diverti en montant une brouette dans la salle communautaire. Le directeur s’en plaint au Père Champagnat.
« Vous avez tort d’être si sérieux avec lui. Ce jeune Frère a besoin de se distraire de temps à autre. S’il avait monté la brouette jusqu’au grenier, je lui aurais donné une image ! ».

À l’exemple de Marcellin Champagnat, l’éducateur mariste se doit d’oser la bienveillance.

Bernard FAURIE
(Publié dans « Présence Mariste » n°282, janvier 2015

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