Pour une éducation à la vie : un psychothérapeute et aumônier de jeunes

Ce dont les jeunes ont le plus besoin : des convictions qui reposent sur des expériences d’accompagnement de jeunes au sein d’une aumônerie de l’enseignement public du diocèse de Toulouse.

La demande à l’origine de cet article sur les priorités éducatives des jeunes d’aujourd’hui était de déterminer leurs besoins les plus urgents.
Je vous soumets l’hypothèse que ce dont ils ont le plus besoin est d’acquérir, de s’approprier du sens. J’emploie le terme hypothèse pour ne rien vous imposer mais seulement vous proposer.

Néanmoins, elle repose sur des expériences d’accompagnement de jeunes de 11 à 18 ans au sein d’une aumônerie de l’enseignement public du diocèse de Toulouse et au sein d’un cabinet de psychothérapie accueillant des adolescents depuis plusieurs années.
Pour étayer cette hypothèse, je vous indique quelques pistes de réflexion émanant de ma pratique avec des jeunes.

Définition de la vie et de l’humain

Quand on parle ou écrit sur l’éducation, il me semble toujours utile de revenir à la base de cette entreprise.
En effet, l’éducation n’est qu’un outil ou un chemin. Il est nécessaire alors, d’être conscient de l’image sous-jacente de l’Homme et de la Vie. Personnellement, c’est la question du sens de la Vie qui est essentielle et son articulation avec ma foi ou ma philosophie de vie.
Victor Frankl, un psychologue, ayant vécu l’enfer des camps de concentration nous dit que :
« Chaque situation représente un défi pour l’homme, la question du sens de la vie peut en fait être posée à l’envers. En fin de compte, l’homme ne devrait pas demander quelle est sa raison de vivre, mais bien reconnaître que c’est à lui que la question est posée. En un mot, chaque homme fait face à une question que lui pose l’existence et il ne peut y répondre qu’en prenant sa propre vie en main. »

Vous pensez peut-être : quel rapport avec les jeunes ? Dans le cadre de l’aumônerie, nous avons demandé aux jeunes ce que celle-ci représentait pour eux. Des 4es nous disent :
« Un lieu où l’on réfléchit un peu plus. On parle de philosophie. »

Michel, un jeune de 1re, me dit :
« Venir à l’aumônerie ne me donne pas de recette toute faite, mais me permet de me questionner, de changer de regard sur la vie. Cela change tout. »

Ceci me paraît très important, car l’un des buts prioritaires de l’éducation pourrait bien être de permettre l’inscription réelle, consciente et participative du jeune dans son existence.
Surtout si l’on se range du côté de Rollo MAY, psychothérapeute existentialiste américain qui écrit :
« La vérité ou la réalité n’existent pas pour un être humain, s’il n’y participe pas, s’il n’en est pas conscient et s’il n’établit pas de rapports avec elle. »

La dernière partie de cette citation me permet de souligner que, dans une démarche spirituelle et/ou religieuse, l’inscription dans le réel est primordiale, sinon le risque de fuite pour échapper à sa vie peut devenir présent et être la cause de graves problèmes personnels tant pour le jeune que pour notre société.
Maintenant, je vous propose de voir un peu plus pratiquement le sens de l’éducation des jeunes.

De l’encadrement à l’engendrement

Je crois que le rôle de l’adulte n’est pas d’encadrer le jeune, de vouloir le faire entrer dans un moule ou le voir adopter nos comportements et nos valeurs parce qu’elles sont « bonnes » et que nous avons de l’expérience. « Nous savons ce qui est bon pour lui ! » Ces attitudes éducatives peuvent être sous-tendues par la meilleure intention du monde, elles n’en restent pas moins pour moi, une impasse.

Le rôle de l’adulte est de faciliter l’expérience du jeune, en lui proposant d’explorer, de goûter, de sentir les choses de sa vie à partir de ce qu’il est dans le moment présent. Ceci ne signifie pas pour autant l’abandon de tout cadre ou de toute structure, mais seulement les envisager étant au service de la croissance psychologique et spirituelle du jeune. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra apte à donner du sens à son existence et à devenir acteur capable de faire des choix conscients et éclairés.

Engendré, oui mais pour quoi faire ?

En tant que chrétien, je suis habité par la certitude que le projet de Dieu pour l’Homme est une vie pleine et heureuse, permettant de devenir qui je suis, de réaliser mes potentiels, d’actualiser mes talents. Ceci passe par l’épanouissement du jeune, par sa capacité à se reconnaître digne de confiance, de valeur, quelle que soit sa dernière note ou sa dernière bêtise. Donc, un des objectifs de l’éducation du jeune est de lui permettre de se construire une bonne et juste estime de lui-même. Ceci est la condition sine qua non pour qu’il puisse faire l’expérience intime, personnelle, de l’Amour de Dieu pour lui et qu’ainsi il puisse être lui aussi amour pour son entourage. Une autre direction est le développement d’une certaine liberté intérieure, d’une certaine authenticité qui permettent à leur tour l’éclosion des ces qualités dans les personnes que nous rencontrons.

Je tiens tout de suite à préciser que cette liberté intérieure n’est pas une simple identification à tout ce qui me traverse à chaque moment de mon existence. Cette attitude serait plus de la tyrannie que de la liberté partagée. A. De Peretti, psychothérapeute et formateur affirme que :
« […] l’on confond souvent authenticité avec un prétendu droit à juger les autres et à projeter sur eux tout ce qui est supposé ressenti. »

Epanouissement, liberté, authenticité sont des valeurs qui pourraient vite devenir les facettes d’un culte de l’ego comme malheureusement cela arrive parfois si elles ne sont pas intégrées dans une dimension relationnelle de dialogue respectueux et d’écoute. Là encore, le témoignage des jeunes est éloquent :
« On découvre comment s’aimer, le véritable respect », (des 4es).
« Nous vivons ce temps comme une fraternité où est respectée la différence de chacun », (des terminales).

Cette manière dont les jeunes vivent leurs relations en aumônerie n’est pas le fruit du hasard, mais de l’accompagnement des animateurs dans leurs groupes respectifs.

Attitudes facilitatrices de l’adulte

Cet accompagnement repose tout d’abord sur une vision du jeune qui ne l’enferme pas dans ses doutes, ses erreurs, ses rébellions, sa mauvaise humeur mais qui pose sur lui un regard d’espérance dans sa capacité à évoluer, à se construire. Cette attitude, base de non-jugement, trouve bien sûr une source évidente dans l’Evangile mais quelle est difficile à être reçue et comprise d’une manière suffisamment claire pour être vécue ! A côté du non-jugement, une écoute compréhensive semble indispensable de la part de l’adulte afin que les jeunes puissent se l’approprier et la vivre entre eux et avec leur entourage.

Mais que ce soit pour le jeune ou pour l’adulte accompagnateur, cette écoute compréhensive représente un gros risque qui nous retranche souvent dans nos certitudes bien affirmées, pouvant devenir des cuirasses défensives et même quelquefois offensives sinon agressives. Or comme nous le rappelle D. Bonhoeffer :
« le commencement de l’amour du prochain consiste à apprendre à l’écouter. »

Il ne vous aura pas échappé que les objectifs que je mets dans l’éducation des jeunes représentent le miroir des manières d’être des animateurs les accompagnant. En effet, c’est seulement si l’adulte les vit au plus profond de son être qu’il pourra instaurer une relation facilitant la croissance du jeune.

Bâtir un monde meilleur

Les centaines d’heures passées avec ces jeunes, que ce soit en aumônerie ou en psychothérapie ne prennent leur pleine signification que dans l’optique de la construction, dès maintenant, d’un monde meilleur.
Ceci redonne au dialogue son entière place dans l’évolution des personnes, des sociétés et de l’humanité. Citons de nouveau De Péretti :
« Ne pas dialoguer ou mal communiquer revient finalement à ne pas accepter les autres de gaieté de cœur, comme des personnes vivantes et à ne pas nous accepter nous-mêmes, également comme une personne ayant à vivre une expérience »sous l’œil de Dieu".

Mais ce monde meilleur ne naîtra que si nous prenons réellement au sérieux les doutes et les interrogations des jeunes.
Si nous revenons au début de cet article avec la dimension existentielle de l’éducation sur la recherche du sens, nous pouvons conclure que l’éducation envisagée de cette manière est, en reprenant les mots de C. R. Rogers :
« Une réponse possible, évolutive, constructive aux immenses incertitudes qui tiraillent aujourd’hui l’humanité. »

Sébastien DAIX, psychothérapeute
et aumônier de jeunes

(Publié dans « Présence Mariste » n°239, avril 2004)

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