Jésus, un Juif de son temps ouvert à l’universel
Nous croyons certes que Jésus est à la fois Dieu et homme. Telle est notre foi chrétienne. Mais si Jésus est homme, il nous faut en admettre toutes les conséquences, hormis le péché. Sans quoi l’incarnation n’aurait pas de sens. Jésus a conscience d’appartenir au peuple élu, d’être un fils d’Abraham. C’est dans ce contexte culturel que s’expliquent des paroles très dures, comme celles que nous lisons dans la rencontre avec la Cananéenne. La femme était une païenne, dit Marc, syro-phénicienne de naissance (7, 26-28). Aux yeux d’un juif pieux… une moins que rien ! Et elle a le toupet de demander la guérison de sa fille possédée d’un démon. Jésus la rabroue : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Mais la femme ne se démonte pas : « C’est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent le pain des enfants. » Jésus est impressionné par cette foi profonde et répond à sa demande.
Cet épisode montre que Jésus n’est pas un esprit enfermé dans des préjugés. Pour lui, le peuple élu n’a pas le monopole des faveurs divines. En bon connaisseur des Écritures, il sait bien quelle fut la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les nations de la terre… Tu deviendras le père d’une multitude de nations » (Genèse 12, 2 ; 17, 5). Et nul doute que Jésus souscrive aux paroles sévères de Jean le baptiste à ses auditeurs : « Ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham » (Matthieu 3, 9).
Jésus, un prophète conscient de sa mission divine
Jésus s’inscrit dans la lignée des prophètes de Yahvé dont la mission est de transmettre la parole du Seigneur à toutes les nations. Mission du prophète Isaïe : « C’est moi le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai tenu par la main, je t’ai mis en réserve et je t’ai destiné à être l’alliance de la multitude, à être la lumière des nations » (42, 6). Lors de la présentation au Temple, le vieillard Siméon recevant Jésus dans ses bras se remémore les paroles d’Isaïe : « Mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple » (Luc 2, 30-32).
Beaucoup reconnaissent en Jésus un prophète. « Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple » s’écrient les témoins de la résurrection du fils de la veuve de Naïn. Et Luc d’ajouter : « Ce propos sur Jésus se répandit dans toute la Judée et dans toute la région » (7, 16-17). Les deux compagnons d’Emmaüs disent à Jésus, qu’ils n’ont pas encore reconnu : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple » (Luc 24, 18-19). Une réputation bien établie. Après l’arrestation au jardin des oliviers, les valets du grand prêtre se jouent de Jésus et le giflent, en lui disant, par dérision : « Pour nous, fais le prophète, Messie : qui est-ce qui t’a frappé » (Matthieu 26, 68).
Jésus envoie ses disciples en mission
Finalement, Jésus est rejeté par une partie des siens : « Un prophète, dit-il, n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison » (Marc 6, 4). Mais il n’est pas rejeté par tous les siens puisque tous ses premiers disciples sont Juifs comme lui, comme Marie et comme toute sa parenté. Mais l’opposition violente des chefs du peuple le conduit à la mort. Jésus ressuscité se tourne alors vers les païens : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Matthieu 28, 19).
La consigne est bien suivie, d’autant plus que l’histoire vient donner un « coup de pouce » à cet envoi en mission. Dieu se dit dans l’histoire… Matthieu écrit son évangile après la prise de Jérusalem par les Romains, en 70. Les habitants de Jérusalem n’ont eu que le choix de fuir leur ville ou d’y mourir. Mais le pire était encore à venir. En 135, la ville est à nouveau détruite par les Romains, et cette fois de fond en comble. Lorsque la ville est reconstruite sous le nom d’Aélia Capitolina, les Juifs y seront interdits de séjour.
Les disciples de Jésus n’avaient pas attendu la catastrophe finale pour aller « ad gentes ». Depuis longtemps déjà, Paul était parti annoncer la bonne nouvelle de Jésus mort et ressuscité pour le salut de tous. Les Actes racontent en quelles circonstances Paul et Barnabas ont décidé ce départ. « Le sabbat venu, toute la ville (Antioche) s’était rassemblée pour écouter la parole du Seigneur. À la vue de cette foule, les Juifs furent pris de fureur et c’étaient des injures qu’ils opposaient aux paroles de Paul. Paul et Barnabas eurent alors la hardiesse de déclarer : C’est à vous d’abord que devait être adressée la parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens. Car tel est bien l’ordre que nous tenons du Seigneur : Je t’ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre » (13, 44-47).
Dieu n’a pas rejeté Israël et ne le rejettera jamais car « le salut vient des Juifs » rappelle saint Jean (4, 22). Mais, non sans un certain humour, Paul peut écrire dans sa lettre aux Romains : « Grâce à leur faux pas, les païens ont accédé au salut » (11, 10).
Bernard FAURIE
(paru dans Présence Mariste N° 263, avril 2010)