On est parfois un peu perplexe en lisant dans nos Evangiles des paroles de Jésus à première vue contradictoires. Comment concilier, par exemple, cette affirmation qu’on lit dans l’Evangile de Matthieu (5,17) :
« N’allez pas croire que je sois venu pour abroger la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir »
et, quelques versets plus loin (21) :
« Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens… et moi, je vous dis… »
Mais en parlant ainsi, Jésus n’abroge-t-il pas la parole des Anciens ? Y a-t-il donc, oui ou non, nouveauté dans le message évangélique ? Si oui, en quoi consiste cette nouveauté ? Et doit-on parler de réforme ou d’innovation ?
La réponse est sans doute dans une juste compréhension de ce mot « innovation ». On peut s’en tenir à la définition de nos dictionnaires :
« Innover, c’est introduire quelque chose de nouveau dans un domaine particulier ».
On comprend mieux alors ces mots d’un philosophe irlandais du 18e siècle, Edmund Burke :
« Innover, ce n’est pas réformer ».
Une réforme n’est donc pas une innovation. En se situant comme celui qui « accomplit » la Loi et les Prophètes, Jésus se veut « novateur » et non « réformateur ». La preuve en est qu’il a partagé la foi juive et qu’il a pratiqué fidèlement sa religion juive. D’autre part, innovation peut être aussi synonyme d’adaptation, adaptation à de nouvelles conditions de vie, à de nouveaux besoins.
La nouveauté évangélique
L’image la plus frappante, et la plus connue, de la nouveauté évangélique est bien celle du vin nouveau. Au pays de Jésus, la vigne, comme l’olivier, faisait partie du paysage familier. Et qui ne se souvient
qu’on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On met au contraire le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent". (Matthieu 9,17).
Jésus ne conseille pourtant pas de jeter au rebut les vieilles outres avec le vin vieux ! Il sait d’ailleurs, pour l’avoir lu dans le prophète Job (32,19), que les outres neuves peuvent aussi éclater ! Et d’ailleurs Jésus ne dit pas que le vin nouveau est meilleur. Au contraire si on lit le passage parallèle dans l’Evangile de Luc qui ajoute :
« Quiconque boit du vin vieux n’en désire pas du nouveau, car il dit : Le vieux est meilleur » (5,38).
Quoi qu’il en soit, nouveau ou vieux, le vin met la joie dans le cœur des hommes et c’est le plus beau symbole du renouveau spirituel :
« Tu m’as mis plus de joie au cœur qu’au temps où abondaient leur blé et leur vin » (Psaume 4,8). C’est dire !
Comment s’exprime cette nouveauté ?
L’innovation s’exprime dans des cantiques nouveaux :
« Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; chantez au Seigneur terre entière » (Isaïe 42,10 ; Ps 96, 1 ; 98,1),
cantiques chantés par un peuple nouveau,
« un peuple recréé louera le Seigneur » (Ps 102, 19)
et repris par les élus de l’Apocalypse chantant « un cantique nouveau devant le trône de l’Agneau (Ap 14, 3) ; un peuple auquel le Seigneur donnera »un cœur neuf et un esprit neuf« (Ez 36, 26) car il leur enlèvera du corps »les cœurs de pierre et donnera des cœurs de chair« (Ez 11, 19) ; un peuple vivant dans une création nouvelle : »Voici que moi je vais faire du neuf, qui déjà bourgeonne ; ne le reconnaîtrez-vous pas ?« (Is 43, 19). C’est cette grande nouveauté qu’annonce en conclusion le livre de l’Apocalypse : »Voici je fais toutes choses nouvelles. Ces paroles sont certaines et véridiques, je suis l’Alpha et l’Oméga" (Ap 21, 5-6).
La « seconde alliance » renouvelle la « première alliance »
La Bible, peut-on dire, est l’histoire des alliances successives de Dieu avec son peuple.
Des jours viennent, oracle du Seigneur, où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda, une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte. Eux, ils ont rompu mon alliance (Jr 31, 31-32).
Cette nouvelle alliance a été, pour l’auteur de la lettre aux Hébreux, l’alliance scellée dans le sang du Christ (Hb 8, 8). De fait, au cours de son dernier repas pascal, Jésus "après avoir pris la coupe et rendu grâce, dit :
« Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang versé pour vous » (Lc 22, 20).
Du côté de l’humanité nouvelle en Christ, la clause essentielle de ce contrat d’alliance est un commandement nouveau, le commandement de l’amour : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 34).
Innover, c’est adapter
Jésus a demandé à ses disciples de faire mémoire de son dernier repas pascal
« car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26).
Ce faisant, il les a rendus capables
« d’être ministres d’une Alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l’esprit » (2 Co 3, 6).
Ce qui signifie que Jésus a confié à son Église le soin de répandre la Bonne Nouvelle en restant fidèles à l’esprit, non à la lettre. Donc en faisant preuve d’adaptation et d’innovation, On ne met pas le vin nouveau dans de vieilles outres ! D’où l’urgence en notre 21e siècle d’une nouvelle évangélisation qui prenne en compte, non seulement les réalités nouvelles d’un monde déchristianisé, mais aussi les aspirations de nos contemporains, leur recherche de sens, leur besoin d’humanisation, leur soif d’absolu, les raisons de vivre et d’espérer. D’où l’urgence encore de rejoindre tous les hommes dans leur propre culture, leurs langues, leurs coutumes…. Le champ d’action est immense et la moisson abondante. Que le Seigneur envoie de nombreux ouvriers à sa vigne.
« Voici je fais toutes choses nouvelles. Ces paroles sont certaines et véridiques, je suis l’Alpha et l’Oméga ». (Ap 21, 5-6)