Les récits évangéliques ont été bien souvent les sujets d’évocations artistiques. Mais les Évangiles ne nous disent rien de la vie de la Sainte Famille à Nazareth et de la trentaine d’années que Jésus y a vécu. De plus, Joseph est souvent le grand absent de ces représentations picturales. Il est même étonnamment discret dans les innombrables tableaux de la nativité.
Du coup les peintres qui se sont inspirés de la vie à Nazareth sont rares. Rembrandt s’y est aventuré, comme dans son tableau de 1640 que l’on peut voir au Musée du Louvre, simplement intitulé La Sainte Famille , petit tableau que Rembrandt a peint dans le même temps où il travaillait sur cet autre tableau, mais immense celui-là, sa célèbre Ronde de nuit.
Rembrandt a actualisé le sujet en représentant la Sainte Famille dans le décor d’un appartement bourgeois de son temps, peut-être celui de la vaste demeure qu’il vient justement d’acquérir à Amsterdam.
Cette scène pourrait évoquer la vie paisible de bien des familles de son temps. Une jeune femme donne le sein à son bébé sur lequel se penche aussi une vieille dame qui délaisse un instant sa lecture pour nous découvrir le visage de l’enfant. Derrière ce trio, un homme s’active à son atelier. À droite, un chat perché sur un petit meuble, au-dessus du feu rougeoyant d’une cheminée, impressionnante par sa hauteur, contribue à souligner le côté intimiste de la scène.
Tel serait le sujet apparent du tableau, si ce n’est que la lumière pénétrant à ?ot par la fenêtre à gauche lui donne sa signification réelle, spirituelle. La jeune femme est Marie, la vieille dame est sa mère, sainte Anne, qui abandonne un instant sa lecture de la Bible pour soulever le coin de la couverture entourant la tête de l’Enfant comme d’un nimbe. Le modèle pourrait être la propre mère du peintre, qu’il a souvent représentée lisant la Bible. L’homme au travail dans son coin atelier est Saint Joseph.
Quelques années plus tard l’Enfant Jésus assistera son père dans son métier, comme l’imagine le poète José-Maria de Heredia, dans le Huchier de Nazareth :
Le bon maître huchier pour finir un dressoirCourbé sur l’établi depuis l’aurore ahane,Maniant tour à tour le rabot, le bédaneEt la râpe grinçante ou le dur polissoir.Aussi, non sans plaisir, a-t-il vu, vers le soirS’allonger jusqu’au seuil l’ombre du grand plataneOù madame la Vierge et sa mère sainte AnneEt Monseigneur Jésus près de lui vont s’asseoir.L’air est brûlant et pas une feuille ne bouge ;Et saint Joseph, très las, a laissé choir la gougeEn s’essuyant le front au coin du tablier ;Mais l’Apprenti divin qu’une gloire enveloppeFait toujours, dans le fond obscur de l’atelier,Voler les copeaux d’or au fil de sa varlope.