- 1/ Pierre Brueghel, La rentrée des troupeaux (1565)
C’est un des tableaux sur le thème des saisons. Deux valets armés de longs aiguillons dirigent le troupeau vers la ferme. Le propriétaire, à cheval, et trois serviteurs, portant eux aussi de longues piques, ferment la marche. Le sujet du tableau peut sembler banal.
Certains éléments pourtant font naître comme un malaise : la convergence des aiguillons des valets qui poussent avec hâte le troupeau dans un chemin étroit ; le ciel menaçant sur la droite ; les rochers déchiquetés dans un paysage tourmenté… En scrutant plus attentivement le tableau, on aperçoit des gibets élevés sur un tertre. L’allusion aux malheurs du temps est directe. Le tableau date de 1565. Les années 1559 à 1567 sont particulièrement dramatiques dans l’histoire des Flandres. Le duc d’Albe, représentant l’autorité espagnole, exerce une répression terrible contre tous ceux qui s’opposent à la politique de Philippe II. Les exécutions se multiplient. La rentrée d’un troupeau n’est plus qu’un sujet apparent qui sert au peintre à dénoncer les violences de son époque.
- 2/ Eugène Delacroix, Le Massacre de Chios (1824)
Lorsque le tableau fut exposé au public au salon de 1824, son titre « Scènes du massacre de Chios » était complété par une sorte de sous-titre explicatif : « Familles grecques attendant la mort ou l’esclavage ». La scène représente un épisode de l’insurrection grecque contre la domination des Turcs ottomans en 1822, dans une île grecque, Chios. C’est une scène d’horreur, d’atrocités qui laisse sans voix.
L’œuvre a surtout suscité, et suscite encore, des commentaires artistiques surtout. La lutte des Grecs pour leur indépendance dans les années 1820 n’intéresse aujourd’hui que… les historiens et les Grecs. Mais, à l’époque, elle a ému les contemporains et le tableau de Delacroix n’y est pas pour rien. Ils furent nombreux en Europe à s’engager pour soutenir la lutte des Grecs pour leur indépendance, qu’ils finiront par obtenir en 1832. Le plus célèbre d’entre eux est le poète anglais Byron qui trouve la mort dans la défense de la ville de Missolonghi en 1824.
Deux ans plus tard, en 1826, Delacroix peint un autre tableau sur ce même sujet de l’insurrection grecque : La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi.
- 3/ Pierre Bonnard, Un village en ruine près de Ham, 1917
1914 : Cette époque tragique de notre histoire, s’efface peut-être peu à peu de nos mémoires. Et pourtant qui d’entre nous ne voit pas des noms de l’une ou de l’autre de nos familles sur les monuments aux morts de nos villes et de nos villages. Et alors nous réalisons que ce sont les noms d’un grand-père, d’un grand oncle, d’un proche…
Ham est une petite ville de la Somme, lieu d’une terrible bataille en mars 1917. L’ennemi s’est retiré après avoir tout incendié. Un village sinistré dans un paysage sinistre. La couleur chaude dominante témoigne de la violence des incendies. Le ciel couvert se reflète sur le sol détrempé par la pluie. Toute végétation a disparu sauf deux arbres dépouillés qui se dressent encore vers le ciel. Sur la gauche un vieil homme est assis, abattu, prostré, hagard. A quoi peut-il penser ? Aux siens enfouis sous les décombres ? A droite, à l’abri derrière un mur, des soldats attendent, sans doute les ordres de leurs chefs. En arrière-plan une ambulance de la Croix-Rouge recueille son lot de blessés.
- 4/ D’une guerre à l’autre, Pablo Picasso, Guernica, 1937
On raconte, mais je ne sais si l’histoire est authentique, qu’un officier allemand entrant dans l’atelier de Picasso et découvrant le tableau Guernica se serait exclamé, peut-être admiratif, pourquoi pas : « C’est vous qui avez fait ça ? » et le peintre de répondre : « Non, c’est vous ! »
L’Espagne a eu son Guernica comme nous avons notre Oradour-sur-Glane. La petite ville de Guernica au pays basque fut bombardée par l’aviation allemande pour soutenir Franco, le 26 avril 1937. Pablo Picasso apprend l’événement par un journal, le 1er mai 1937. Le peintre évoque la presse par les caractères d’imprimerie sur le cheval au centre du tableau. Et c’est ainsi que la peinture se fait le relais de la presse.
Ce tragique événement a inspiré bien des artistes : Paul Eluard, dans un poème, Alain Resnais dans un court-métrage… Mais lorsqu’on pense à Guernica, c’est bien le tableau de Picasso qui s’impose à notre mémoire. Le choc de l’image a sur nous plus d’impact que le poids des mots.