Chacun contribue à la richesse de l’information. Nous avons rencontré Laurent Grzybowski, journaliste depuis 25 ans. Travaillant depuis 15 ans à « La Vie », il est chargé actuellement de la rubrique « Social ».
Comment voyez-vous l’évolution dans votre métier ?
J’ai l’impression d’avoir fait plusieurs métiers différents. Quand j’ai commencé en 88 à La Croix, on sortait de l’ère de la machine à écrire ; on devait faire les papiers en double et en garder un exemplaire. Aujourd’hui cette transformation s’est accentuée, notamment avec l’apparition d’internet, des mails, des réseaux sociaux.
L’ordinateur n’est pas seulement un outil, mais une autre manière d’appréhender le monde. On peut faire une enquête en 3 jours. Aujourd’hui, la plupart des recherches documentaires se font à travers Google. Le journal est bouclé beaucoup plus rapidement puisque tout est numérisé.
L’autre changement, c’est le lien avec les lecteurs. On a un lien beaucoup plus direct à travers les mails, le téléphone, les réseaux sociaux. Du coup il y a une familiarité beaucoup plus grande avec les lecteurs.
C’est aussi un changement économique. Le papier est de moins en moins désiré. La courbe des ventes n’a cessé de baisser avec l’apparition des versions numériques. Maintenant, on a le « print » et le web. On écrit deux journaux en réalité. Les hors-série sont développés car les gens aiment avoir un thème précis. Nous faisons beaucoup de hors-série entre La Vie et le Monde avec beaucoup d’infographies. Aujourd’hui, le numérique nous pose un défi énorme ; il nous faut investir dans le numérique le plus possible. Pour l’instant c’est gratuit mais il va falloir trouver des solutions pour que cela soit rentable. On est dans une phase de transition déstabilisante, inquiétante.
Le papier n’attire plus. Les jeunes ne lisent quasiment plus la presse. Ils vont sur internet. J’espère que Présence Mariste a aussi une version web car c’est l’avenir.
Après 25 ans de métier, quel regard critique portez-vous sur le monde de l’information ?
La question est vaste. Mais il n’y a pas forcement quelque chose qui s’impose à nous. L’actualité, c’est lié à un regard que l’on porte sur le monde, qui est fait de convictions, qui touche à la sensibilité de nos lecteurs. On est obligé de faire des tris, de sélectionner, de hiérarchiser. Dans le choix des sujets, j’essaie d’être suffisamment autonome et indépendant par rapport à mon propre regard ou celui de l’extérieur. Il faut éviter l’effet d’entraînement où tous les moyens d’information parlent de la même chose en même temps. Nous essayons d’avoir un regard un peu décalé, différent.
Autre chose : « Un arbre qui s’abat fait beaucoup de bruit ; une forêt qui germe, on ne l’entend pas » disait Gandhi. Quand on est journaliste, est-ce que l’on s’intéresse seulement aux arbres que l’on abat, à ce qui fait du « buzz », ou bien est-ce que l’on va essayer de porter le regard sur ce qui germe, qui ne fait pas forcément la une des journaux, mais qui participe à la transformation du monde ? On risque aussi d’être toujours dans une actualité un peu déprimante, qui dysfonctionne, qui choque. Je préfère m’arrêter sur ces actualités porteuses de sens, de solution.
Par exemple parler de la crise, ce n’est pas uniquement parler de ce qui va mal, c’est aussi mettre le projeteur sur ce qui va permettre de s’en sortir, de transformer le monde.
Que pensez-vous de ce slogan : trop d’information tue l’information ?
On est un peu noyés devant la multiplicité des sources d’information. On est cernés, bombardés. Je vois deux risques devant cette abondance de biens.
On risque de s’en détourner totalement. Pourtant l’information a un rôle éminemment démocratique. Pour être un citoyen aujourd’hui, pour faire des choix, pour prendre sa place dans la société, il faut absolument être informé. L’information sur les autres, sur le monde peut être source de croissance et d’engagement. Combien de jeunes partent faire un stage à l’étranger suite à un reportage qu’ils ont vu ou à des problématiques qu’ils ont vues dans la presse !
On risque aussi de ne plus savoir faire le tri entre ce qui est vrai et pas vrai, ce qui est porteur de sens et ce qui est négligeable, ce qui est anecdotique et ce qui est très important pour l’avenir de la société. C’est très difficile de hiérarchiser, de comprendre qu’une info n’est pas très importante, même si elle fait beaucoup de bruit. À l’inverse, des choses dont on ne parle presque pas engagent beaucoup l’avenir. Comment trier, hiérarchiser ? C’est là que les journalistes ont quelque chose à apporter.
Comment définiriez-vous votre regard de chrétien sur l’info ?
Je vois 3 aspects :
Être attentif aux signes de fraternité. Je n’ai pas peur de dire que je fais du journalisme chrétien, j’essaie de regarder ce qui est source d’espérance, ce qui germe, ce qui naît, ce qui renouvelle le monde. J’essaie d’être plus attentif aux forêts qui germent qu’aux arbres que l’on abat.
Donner toute leur place aux plus pauvres, aux plus faibles. Je suis bien placé puisque je travaille dans le secteur social. Leur donner la parole, c’est leur tendre le micro ; mais ça peut aussi parler d’eux, dépasser les idées reçues à leur égard, les stéréotypes et même discriminations envers les Roms, les gens d’ATD-Quart- monde, les SDF… Je pense que c’est important de dépasser ces visions déformées et déformantes pour rencontrer les personnes telles qu’elles sont et permettre aux gens de dépasser les préjugés. Donner la parole aux petits et aux pauvres, à ceux qui n’ont pas la parole.
Mettre en valeur la dimension spirituelle. Pas le religieux, mais vraiment la dimension spirituelle. Par exemple, cette semaine, je fais le portrait d’Atanase Périfan, fondateur de la fête des voisins. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il a dans le ventre, dans le cœur, ce qui le fait vivre, le pousse en avant, finalement, quelle est sa foi, même si ce n’est pas une foi chrétienne. C’est très important de ne pas rester à la surface des choses. J’ai envie d’aller dans le fond, d’aller gratter derrière, de comprendre ce qu’il y a dans le cœur de la personne que je rencontre.
Quelles sont vos joies et vos difficultés dans ce métier de journaliste ?
Les difficultés d’abord. Il y a des dossiers un peu ardus, techniques, compliqués. Il faut s’y plonger. Si on n’entre pas dans le sujet que l’on traite, nos lecteurs ne le feront pas non plus. Donc il faut faire nous-même l’effort de compréhension pour aider nos lecteurs à faire le même cheminement.
En interne, il y a eu des papiers dont il m’a fallu faire le deuil. Je les avais préparés, mais ils n’ont pas été retenus. Il faut constamment faire des choix éditoriaux.
Mes joies ? Je dis à mes étudiants que si je n’étais pas payé pour faire ce métier, c’est moi qui paierais pour le faire. C’est un peu le prolongement de ce que je suis. J’ai l’occasion de rencontrer des gens très différents, de tous milieux, de tous bords politiques, avec des engagements très divers et j’aime rencontrer des gens. Mon métier de journaliste est un prolongement de ce que j’aime faire, de ce que je suis, de mes aspirations les plus profondes.
J’aime beaucoup transmettre et j’ai la chance comme journaliste d’exercer ce pouvoir de transmettre, écrire, partager mes découvertes. Informer mes lecteurs. Informer, c’est transmettre une expérience, une rencontre, une histoire. On m’offre ce pouvoir de m’exprimer parfois au nom de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. En plus la joie de donner la parole à des gens qui ne l’ont pas toujours.
Et puis travailler en équipe, échanger nos impressions, essayer de comprendre le monde dans lequel on est, ses évolutions, être au cœur de ses problématiques et essayer à la fois d’y voir plus clair, pour soi d’abord et permettre à nos lecteurs d’y voir plus clair. C’est une joie énorme de pouvoir vivre cette transmission-là. Joie aussi de rencontrer les lecteurs, notamment à travers une association des amis de La Vie, d’échanger avec eux et de voir que ce sont des gens formidables, engagés au plan social, politique, religieux, là où ils sont et dans des tas de domaines.