PM 302

Parabole sur la violence et le sacré

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Ne nous y trompons donc pas : ni la religion, la science, la politique ou l’économie… ne sont responsables de la violence. Mais elles en sont les vecteurs dans la mesure où elles deviennent des idoles. (Présence Mariste n°302, janvier 2020)

F. André Lanfrey
Le village des schtroumpfs : une parabole sur la violence et le sacré

Les bandes dessinées de Peyo sur le village des Schtroumpfs me paraissent un bon support pour parler de manière un peu légère d’un sujet aussi grave que « violence et sacré ». En effet ces petits hommes bleus au langage un peu étrange, gouvernés par un grand schtroumf plein de sagesse, sont sans cesse menacés par le méchant sorcier Gargamel accompagné de son chat Azraël.

Voyage au pays de schtroumpfs

Si l’on y prend garde, cette BD évoque le fonctionnement de nos sociétés et c’est pourquoi elle plaît aux adultes comme aux enfants. Évidemment, les divers épisodes se terminent par un retour fragile à l’harmonie ou la défaite provisoire du méchant Gargamel. Malgré sa sagesse le grand schtroumf lui-même n’est pas exempt d’erreurs et d’initiatives maladroites. Même sa magie blanche a bien du mal à triompher de la magie noire de Gargamel.

En somme, le village des schtroumpfs est à mi-chemin entre la société idéale et le monde réel ; entre le rêve et la cour de récréation où on se chamaille pour un oui ou un non. L’interprétation de cette BD peut même devenir plus corrosive : n’est-ce pas la version « soft » de nos familles, sociétés et nations minées par les conflits internes et menacées par des puissances extérieures ? Mais j’insisterai plutôt sur un symbole plus métaphysique : la lutte jamais achevée entre le bien et le mal ; entre la violence et l’harmonie.

Pas de religieux mais beaucoup de sacré

A priori cette lutte n’est pas religieuse : pas d’église ni de temple dans le village schtroumpf. Mais c’est le laboratoire qui en tient lieu partiellement, là où le Grand Schtroumpf travaille quand les conflits entre schtroumfs lui en laissent le temps. C’est là aussi qu’il cherche et trouve, souvent après bien des tâtonnements, les recettes magiques pour ramener l’harmonie ou combattre la magie noire de Gargamel. En fait le Grand Schtroumf est une figure polysémique : à la fois sage, savant, père et grand prêtre qui domine les forces maléfiques. Au fond, il est en phase avec le monde actuel où ésotérisme et magie se vendent bien, alors que les religions instituées ne sont plus guère audibles.

Aujourd’hui chacun joue au grand schtroumf en son laboratoire personnel, sacralisant la planète, la nature, la démocratie, l’enfant, la paix…et usant de toutes sortes de techniques pour en tirer un bénéfice personnel ou collectif. Le salut s’est sécularisé et banalisé. La figure de Gargamel est à la fois antithétique du grand Schtroumf et son double maléfique. Certains albums jouent plus particulièrement sur cette dualité, le grand Schtroumpf prenant par magie l’apparence de Gargamel et vice versa. Et c’est tout le problème du sacré qui peut revêtir des formes divines ou diaboliques.

L’histoire des Schtroumfs nous invite donc à ne pas confondre sacré et religieux même si toute religion peut dégénérer en sacralisation d’images ou d’objectifs terrestres. Il y a eu au XVIe siècle les « guerres de religion » et de nos jours l’Islamisme ranime l’idée que la violence et la religion vont de pair. Mais le phénomène de sacralisation est loin d’être le monopole des religions : ainsi la Révolution Française a formulé solennellement les Droits de l’homme et du Citoyen en 1789, mais instauré la terreur en 1793. La guerre de 1914-18 a opposé des peuples ayant sacralisé la nation. Aux XIXe et XXe siècles on a beaucoup sacralisé la science, la race, la classe ouvrière… Et aujourd’hui on ne se prive pas de continuer.

Quête d’une harmonie sociale

Ceci dit, n’exagérons rien, et la BD des Schtroumpfs le suggère : la violence sous quelque forme qu’elle soit, n’a pas toujours besoin d’être sacralisée : les vieilles passions humaines (colère, envie…) suffisent. Mais le violent cherche à transfigurer ses actes en revendiquant une cause sacrée, soit pour y trouver une rédemption personnelle soit pour susciter des disciples ou à tout le moins fasciner une opinion publique toujours friande de grandes transgressions. Nous en avons de nombreux exemples dans les tentatives terroristes actuelles.

Bangladesh - foule

Avec les médias et les réseaux sociaux monte aujourd’hui une violence abstraite pratiquant « fake news » et campagnes systématiques contre des personnes ou des institutions censées coupables de sacrilèges épouvantables. C’est le retour, grâce à la technique, de la violence la plus archaïque : celle du « bouc émissaire » considéré comme la cause des maux du peuple et qui doit être symboliquement mis à mort, afin que, croit-on, la communauté purifiée retrouve l’harmonie. Ce type de violence n’est pas absent des albums des Schtroumpfs, leur village retrouvant son harmonie par la victoire sur Gargamel, figure du mal ou de l’étrangeté absolus. Cette stratégie du tous contre un est d’ailleurs souvent pratiquée par les écoliers, capables, en toute bonne conscience, de persécuter collectivement celui ou celle qui leur paraît mettre en cause ce qu’ils considèrent comme la norme.

Invitation constante à briser les idoles

Ne nous y trompons donc pas : ni la religion, la science, la politique ou l’économie… ne sont responsables de la violence. Mais elles en sont les vecteurs dans la mesure où elles deviennent des idoles. Et le monde actuel ne manque pas d’idoles. Il n’a jamais été aussi opportun de méditer la parole de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».

Rien n’empêche de continuer à faire une lecture au premier degré des albums des Schtroumpfs même si, au fond, ils sont pleins de tragédie potentielle. C’est aussi pour cela qu’ils nous intéressent car, de manière confuse ou allusive, ils parlent de chacun de nous.

F. André LANFREY
(Publié dans « Présence Mariste » n°302, janvier 2020)
Par respect pour les droits d’auteur et la volonté de la maison d’édition, nous ne mettons aucune illustration tirée des albums des Schtroumpfs.

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