La Terre Mère
Dans un numéro précédent, le n° 289, sur l’encyclique du Pape François, Laudato si’ , nous avons largement évoqué la figure de la Terre Mère, Pacha Mama, qui, en Bolivie et d’une façon plus générale dans toute l’Amérique du Sud, est très présente dans les cultures et les comportements. La plupart des pays l’ont inscrite, avec les « droits de la nature », dans leurs constitutions nationales.
Plus près de chez nous, le célèbre mot d’ordre des Zadistes de Notre Dame des Champs, « nous ne défendons pas la nature, c’est la nature qui se défend », reprend cette conception dynamique de nos liens avec la terre… la situant au cœur des nécessaires mouvements de la révolution écologique actuelle…
Les Enclosures
Cette nature qui se défend, ce n’est pas d’aujourd’hui… C’est depuis des siècles que dure son combat contre les forces qui veulent l’asservir. Le mouvement des « enclosures » à la charnière du Moyen-Âge et du monde moderne, a mis un terme à des siècles d’utilisation de la terre par les paysans dans le cadre des Communs… Il s’agissait, pour les riches propriétaires fonciers, de récupérer pour l’élevage des moutons, les terrains auparavant gérés par les communautés qui en avaient le droit d’usage…
Longtemps, on a considéré que ces enclosures étaient la meilleure des solutions, que les haies plantées entre les parcelles privées entretenaient le sol, et que les techniques d’assolement, rendues ainsi possibles, permettaient de bien meilleurs rendements… Ce qui est vrai, mais au détriment d’une grande partie de la population paysanne, de sa mise en dépendance, de sa paupérisation et de son exode vers les villes …
Encore en 1968, les travaux de Garrett Hardin louent les avantages des enclosures, qui garantissent selon lui la préservation de la terre contre l’incurie des paysans locaux… Mais les temps changent, et depuis quelques années, derrière le prix Nobel d’économie Elinor Ostrom (2009), les critiques fusent, dénonçant principalement les excès de l’agriculture intensive héritière des enclosures et ses conséquences sur la qualité de la terre et sur le climat…
Une autre voie
De fait, la société d’aujourd’hui a tendance à situer les biens que nous utilisons soit dans la propriété individuelle et le marché, soit dans la sphère des biens collectifs gérés par les États… Et s’il y avait une autre voie ? Celle des biens communs, gérés par les citoyens dans un esprit de durabilité, de civisme et de solidarité, comme c’était le cas avant les enclosures, sans souci du rendement lié au marché, et à l’abri des méandres des administrations étatiques ?
Cette question des biens communs devient de plus en plus d’actualité.
Comme une troisième voie entre l’organisation libérale du monde et la puissance incontrôlée de l’argent, d’une part, et les schémas étatiques de plus en plus battus en brèche… On pourrait imaginer un triangle dont chaque angle correspondrait à un modèle de société. Sur l’angle du bas à droite, c’est le marché, avec tous les excès que nous connaissons aujourd’hui ; l’angle de gauche, c’est la propriété collective gérée par l’état et les collectivités… Notre vie aujourd’hui oscille généralement entre ces deux pôles. Mais il y a un troisième angle, celui du haut, c’est celui de la gestion des biens communs. Une autre voie qui ne se contente pas d’adapter au système libéral une transition écologique que tout le monde reconnait comme indispensable, mais de mettre en place un tout autre type de fonctionnement qui serait issu de l’effondrement de nos systèmes de gouvernance actuels… C’est d’ailleurs le schéma que présentent les "collapsologues" (« Comment tout peut s’effondrer », Pablo Servigne et Raphaël Stevens, 2015), qui voient dans l’effondrement de la société industrielle énergivore, basée sur la croissance et le profit, l’occasion de repartir sur de nouvelles bases, respectueuses de l’environnement et de l’harmonie des liens sociaux…
Enclosures d’aujourd’hui
Et ce qui est vrai pour la terre, l’est aussi pour d’autres biens communs comme l’eau ou l’air… et aussi pour des biens moins matériels comme la culture, la communication ou d’une façon plus générale l’intelligence en commun de l’humanité…
Les exemples sont nombreux !
Prenons-les dans les travaux organisés par l’Université du Bien Commun, lancée à Paris en 2017 à l’initiative d’une vingtaine d’associations proches de la défense de l’environnement, et qui continue mois après mois d’explorer les pistes ouvertes sur cette voie des biens communs.
L’eau est un bien commun mondial.
Elle ne doit plus faire l’objet d’une marchandisation et d’une monétisation généralisée. Avec deux conséquences évidentes : s’assurer que tout être humain a accès à l’eau potable, et prendre soin et sauvegarder les ressources en eau de la planète.
Les semences, sont aussi fournies par la nature…
Elles sont aussi un bien commun. Il faut en préserver le droit d’usage, et combattre les sociétés qui se les approprient et les soumettent à des obligations de vente…
L’air l’est aussi …
Comment concevoir qu’on puisse en faire commerce, comme en Chine, en vendant des bouteilles d’air pur ? Et comment accepter la pression des lobbies qui s’opposent à toutes modifications propres à le rendre plus respirable, comme le lobby des transports routiers dans la vallée de Chamonix ?
Et le progrès,
doit-on en accepter tous les excès ? Comment les progrès des techniques de communication ont-ils conduit à une monétisation de l’information ? Et dans le domaine de la santé, ne doit-on pas s’inquiéter du fait que la fabrication de médicaments participe aux plus grandes fortunes mondiales de notre temps ?
Et plein d’autres exemples, pris dans tous les domaines de l’activité humaine, où il faut préserver les biens communs de l’emprise du capital et de l’appât du profit.
Le logement, avec des locations dans les grandes villes qui excluent de fait les populations moyennes…
L’éducation, comme au Japon, où l’on doit s’endetter pour parvenir à se former convenablement…
Les transports, qui deviennent problématiques dès qu’ils ne sont pas rentables pour les sociétés qui les organisent ?
Pour beaucoup, de plus en plus, vivre, vivre seulement, devient un luxe ! Et y a-t-il un bien commun plus incontestable que la vie ?
On comprend parfois le mouvement des gilets jaunes ! Mais c’est un autre débat !