Notre école Jean XXIII (918 élèves cette année) se situe à Mulhouse, aux confins de deux quartiers sensibles, dans une ville dont la population scolaire compte près de 65 % d’enfants et de jeunes issus de l’Islam. L’année dernière, au moment des attentats de janvier, nous avons réfléchi avec nos élèves sur la possibilité de vivre aujourd’hui dans la paix, de créer dans nos quartiers des relations de respect et de solidarité. Nous avions accroché dans nos entrées des colombes, portant nos vœux de paix et d’amour pour « notre maison commune », pour toute la terre.
Apprendre l’art de la rencontre
Depuis toujours, nous avons fait le pari que notre école, implantée à Mulhouse depuis 150 ans, était un de ces lieux où, pour grandir ensemble, il fallait « apprendre l’art de la rencontre » selon la belle expression d’Albert JACQUART. Dire que l’on grandit par la rencontre, dans la rencontre de l’autre, différent de nous, n’est pas seulement une formule. Par vocation, mais aussi tout simplement par obligation légale, notre école est une école ouverte à tous : des élèves catholiques et d’autres confessions chrétiennes y côtoient des enfants originaires du bouddhisme, de l’islam et du judaïsme.
Depuis une dizaine d’années, la municipalité de Mulhouse en collaboration avec les représentants des différentes religions a mis à disposition des écoles un « calendrier interreligieux ». Cet outil de travail pour les classes est venu interroger cet esprit d’ouverture et de connaissance de l’autre dans sa différence et dans sa richesse.
Par la mise en parallèle des fêtes religieuses, par la découverte des différents lieux de culte, des traditions propres à chaque famille religieuse, la curiosité des enfants a été aiguisée. Tous les deux ans, nous avons ainsi organisé une rencontre interreligieuse pour nos classes de CM2 pendant lesquelles les élèves posaient des questions très pertinentes au rabbin, à l’imam, au pasteur ou au prêtre. Une belle manière d’oser la rencontre, de confronter ses points de vue, de risquer une parole sur sa propre religion et celle de l’autre, dans le respect et l’écoute.
Préparer les enfants de différentes traditions à construire la paix
Dans les dernières années, force est de constater que le pluri-religieux génère beaucoup de mépris, que la religion est perçue par de nombreux jeunes comme un facteur de guerre et de conflits à travers le monde. Alors comment, dans une école comme la nôtre, relever le défi interreligieux, au-delà d’une conception de la laïcité qui ne peut nous satisfaire ? Comment, en tant qu’éducateurs chrétiens, pouvons-nous préparer nos enfants de différentes traditions à se reconnaître à construire la paix sur des bases justes ? S’engager dans un dialogue interreligieux n’est pas céder à une mode ; c’est répondre à une exigence qui nous vient directement de Dieu : c’est un impératif de notre foi, une cohérence entre foi et raison, entre foi et engagement dans la société, que nous ne pouvons éluder. Ainsi le dialogue interreligieux se fonde sur l’origine commune de tous les êtres vivants, créés à l’image de Dieu, reconnaissant en tout autre, l’esprit de Dieu qui l’habite, quel que soit le nom qu’il donne à son Dieu.
Comment relever ce défi du dialogue interreligieux ? La notion-clé de la rencontre interreligieuse est la fidélité à soi-même, à sa propre tradition ; une notion compliquée pour les enfants d’aujourd’hui, victimes d’une rupture de transmission qui est réelle et palpable dans nos classes. D’abord, il faut savoir dire « je » pour s’enraciner et affirmer sa propre identité avant de vouloir aller à la rencontre de l’autre.
Dans chaque classe, cinq minutes pour Dieu
Ainsi, nous avons mis en place dans toutes nos classes « 5 minutes pour Dieu par jour » : 5 minutes de silence, de prière, d’intériorisation pour conduire tous les enfants, quelles que soient leurs religions, leurs traditions cultuelles, vers l’intériorité. Où nous conduira cette expérience ? Nul ne le sait. Après quelques semaines de mise en route de ce temps d’intériorisation, des enfants en parlent, des parents réagissent… positivement.
D’autres initiatives ont été tentées : le patrimoine culturel de notre région favorise la prise de conscience de l’histoire religieuse de l’Alsace. Aller à la découverte du Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald, s’attarder devant la Vierge au Buisson de roses de Martin Schongauer a été pour les élèves de CE2 une plongée dans l’histoire du XVIe siècle. Ce retable, comme une feuille d’un livre géant, leur a permis de se promener dans un des plus beaux chefs-d’œuvre de la peinture. Une interrogation féconde peut alors naître et porter des fruits.
Au bout de ce long cheminement, est née l’idée de créer dans un chemin interreligieux dans notre école. Après avoir visité différents lieux de culte de Mulhouse (un temple, une église, une synagogue, une mosquée), après avoir questionné ces communautés sur leur identité et sur leur chemin de vie, il s’agira pour les enfants de repérer l’essentiel de chaque tradition religieuse et de représenter ceci sur un chemin qui conduira de l’extérieur vers l’intérieur.
Qu’allons-nous trouver sur notre chemin interreligieux ?
- La tente d’Abraham, avec un figuier, un olivier, une ménorah (1).
- La croix, une mosaïque de Tabgha, un cep de vigne, du blé.
- Les 5 piliers de l’Islam avec le mot « Salam », de la menthe et des plantes rituelles.
Projet ambitieux pour des élèves du CE2, qui va évoluer au fil des découvertes de ces deux ans à venir, en y associant les parents, des amis des différentes religions, dans un seul et unique but : travailler ensemble pour la paix. L’éducation à la paix s’appuie sur la richesse de l’héritage de toutes les traditions religieuses : c’est la conviction-socle de cette aventure. « Que tous soient UN ! », c’est le désir du cœur de Dieu : Jésus nous a confié ce désir comme son ultime testament et l’a remis entre nos mains. Qu’en faisons-nous ?
Directrice de l’École Jean XXIII - Mulhouse
(1) Mémorah : Le mémorah est le chandelier à sept branches des Hébreux, dont le construction fut prescrite dans le livre de l’Exode, au chapitre 25, pour devenir un des outils du Tabernacle et plus tard du Temple de Jérusalem.