Une phase critique et décisive
Les relations entre les chrétiens et les juifs d’un côté, les musulmans de l’autre, traversent au Moyen Orient une phase critique et décisive. Critique parce que les tensions semblent s’intensifier.
Les attaques meurtrières sont de plus en plus violentes, elles sont perpétrées au nom même d’une appartenance religieuse. Critique, mais aussi décisive en raison de la présence des chrétiens de plus en plus timide. Timide à cause des vexations et des dangers au quotidien. Timide également et surtout suite à la diminution numérique notable dans plusieurs pays.
Dès qu’ils peuvent, les chrétiens quittent leur pays natal, pour trouver refuge dans des lieux plus sûrs, au moins sur le plan sécuritaire.
Double mission des chrétiens du proche Orient
C’est un des constats majeurs du synode spécial pour les chrétiens d’Orient qui souligne avec force cette réalité. Mais en rappelant que le christianisme est né en Orient, l’assemblée des évêques transforme ce constat en un défi. Aujourd’hui, plus que jamais, les chrétiens d’Orient ont une double mission : celle de l’enracinement et du témoignage. À plusieurs reprises, le message final et les propositions appellent les chrétiens à un attachement. Conscient du tournant historique et des dangers extérieurs, le synode exhorte les chrétiens à ne plus vendre leur terrain, à vivre en communion et à jouer leur rôle de citoyen. En résistant aux fanatiques dans des conditions politiques difficiles, il s’agit de porter témoignage de ce qui fait la raison d’être première d’un chrétien : la fidélité au message du Christ en annonçant à travers sa vie la Bonne Nouvelle du salut.
Le vivre-ensemble dans le respect de chacun
Dans ce cadre complexe et incertain, les évêques énumèrent les mesures en faveur d’une convivialité. Le vivre ensemble dans le respect de chacun est l’objectif premier des chrétiens en rapport avec leurs concitoyens juifs ou musulmans. Cependant les socles de ce vivre ensemble sont de trois niveaux complémentaires. Le premier est de nature politique. Le synode souligne à cet égard l’importance d’un contexte apaisé. C’est ce qui le conduit à lancer un appel à la communauté internationale pour trouver une solution sincère et durable au conflit qui oppose Palestiniens et Israéliens. C’est un des nœuds politiques majeurs et une des sources réelles de la radicalisation du fondamentalisme islamique. Le deuxième niveau est d’ordre culturel. Les chrétiens ne sont pas des corps étrangers dans leur contexte. À ce sujet, les évêques n’hésitent pas à proposer la consolidation du patrimoine littéraire arabe chrétien à travers l’usage de cette langue.
Le troisième niveau est religieux.
Dans ce sens, le synode s’inscrit dans la perspective de la déclaration Nostra aetate du concile Vatican II. Ce qui conduit les chrétiens d’Orient à ne plus se sentir contraints d’une alternative : la relation avec les juifs ou avec les musulmans. En reprenant l’essentiel de ce que propose le concile, le synode réaffirme son refus d’un antijudaïsme possible et latent à certaines positions, mais aussi l’inscription de tout dialogue bilatéral dans une perspective interreligieuse qui respecte la spécificité théologique du rapport au judaïsme et à l’islam.
Un message de lucidité et de paix
Malgré le contexte politique tendu et dangereux selon les pays, le synode apparaît comme un appel plein de lucidité et d’espérance. Lucidité d’abord : en dépit de la fragilité qui est une véritable menace, pour les évêques, la place des chrétiens est de teneur prophétique pour la construction d’une paix durable fondée sur le respect des valeurs de tous. À ce titre, les évêques interpellent les juifs et les musulmans qui sont des concitoyens.
Le dialogue comme interpellation fraternelle et citoyenne prend ici tout son sens. Dialoguer exige le refus de tout conformisme intolérable surtout quand il s’agit de légitimer le meurtre d’innocents. Ce message est un appel d’espérance dans la mesure où la parole synodale peut se nourrir et s’appuyer sur des expériences d’un vivre ensemble qui défie l’intégrisme religieux.
Au Liban, l’exemple de la fête désormais nationale de l’annonciation, célébrée le 25 mars, a pris une dimension islamo-chrétienne dans le respect de l’identité religieuse des deux communautés. Une fête mariale qui ouvre un espace de dialogue fraternel et convivial, tout en alertant sur la nécessité inconditionnelle d’une reconnaissance citoyenne.
Michel YOUNÈS
Maître de conférences à l’université catholique de Lyon
Ancien chercheur à la faculté de théologie
Responsable du centre d’études des cultures et des religions
Paru dans Présence Mariste N° 267, avril 2011