L’Église est née au Proche-Orient

Au berceau du Christianisme

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"Mon cœur est au Levant, Moi, au bout du Ponant…" (Juda Hallévi [1])

Et c’est là-bas, d’abord, qu’elle a pris son essor. C’est ce que le récent synode des Églises orientales, qui s’est tenu à Rome du 18 au 24 octobre 2010, est venu nous rappeler.
Qui lit le Nouveau Testament d’un bout à l’autre peut avoir l’impression d’une solution de continuité, d’une rupture, entre les récits évangéliques d’une part et les Actes des Apôtres et les lettres de Paul d’autre part. Il y a un tel changement de ton et d’atmosphère. La figure centrale des évangiles est celle de Jésus.
La figure centrale des Actes est… celle de Paul. On en viendrait ainsi à distinguer le temps de Jésus et le temps de l’Église.

Les premières « communautés de base »

Il est certain que, parmi les centaines de gens venus écouter l’enseignement de Jésus en Galilée, en Judée et à Jérusalem, que parmi tous ceux qui ont bénéficié de guérisons et de bienfaits divers, le plupart ne sont pas rentrés chez eux tout à fait comme ils étaient venus. Beaucoup ont pu dire à ceux qu’ils rencontraient, comme Philippe à Nathanaël : « Celui de qui il est écrit dans la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous l’avons trouvé ; c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth… Viens et vois » (Jean 1,45-46).

Salle considérée comme la « salle haute » à Jérusalem. Naissance de l’Eglise dans le souffle de la Pentecôte


Ils ont rejoint, ainsi transformés, leurs compatriotes et pouvaient aussi dire comme les deux disciples d’Emmaüs : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait… ? » (Luc 24,32).

La Samaritaine

La rencontre de Jésus et de la Samaritaine (Jean 4) paraît exemplaire. Cette femme rentre chez elle en proclamant : « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Ils sortirent de la ville et allèrent vers lui… Et à leur retour ils disaient à la femme : « Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde ».

Restes d’un baptistère pour adultes à Avda, ville nabatéenne. Il y eut des disciples dans diverses régions proches de la Palestine

On comprend mieux dès lors qu’après la lapidation du diacre Étienne et le déclenchement de la première persécution en 36-37, le diacre Philippe ait alors trouvé bon accueil en Samarie (Actes 8,5-6). Le terrain était préparé.

Dans le souffle de la Pentecôte

La venue de l’Esprit saint au jour de la Pentecôte a des conséquences incalculables. La foule qui est là, écoutant les apôtres, vient de tout le Proche-Orient : de Perse, de Mésopotamie, d’Égypte, de Libye, d’Arabie, d’Asie mineure, de Crête… et même de Rome. « Le cœur bouleversé, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres : Que ferons-nous ? » (Actes 2, 8-11, 27). Nul doute que, rentrés chez eux, ces gens-là furent les semeurs de la bonne nouvelle.

En effet, qui sont ces premiers disciples de Jésus qui résident à Damas constituant une petite communauté autour d’Ananias ? C’est à cette communauté que le Seigneur envoie Paul (Actes 9). À Lydda, il y a déjà des disciples avant même, semble-t-il, que Pierre n’y arrive (Actes 9,32-35). À Joppé, Pierre ressuscite une femme, Tabitha, « qui était disciple » et Pierre demeure quelque temps « chez un certain Simon ». (Actes 9,36-43).

Les fondateurs de l’église d’Antioche sont aussi des disciples qui avaient fui Jérusalem, après la persécution, et « étaient passés jusqu’en Phénicie, à Chypre et à Antioche » (Actes 11,19-20). C’est à ces disciples, que « pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné ». Cette communauté d’Antioche existe avant même que Barnabas et Paul n’y soient envoyés depuis Jérusalem.

Le Jourdain, lieu hautement symbolique pour les pèlerins

Le cas d’Apollos témoigne aussi d’une diffusion de l’évangile qui remonte à une époque très ancienne, avant même la Pentecôte. Il nous est dit, en effet, que cet Apollos était « originaire d’Alexandrie » où déjà il « avait été informé de la Voie du Seigneur ». Cet Apollos « homme savant, versé dans les Ecritures » se trouve à Ephèse, puis à Corinthe, dans les années 50, avant l’arrivée de Paul (Actes 18,24-28). Or, Apollos « prêchait et enseignait exactement ce qui concernait Jésus, tout en ne connaissant que le baptême de Jean ».

Et c’est alors qu’un couple de disciples venus de Rome, Aquilas et sa femme Priscille, se chargent de compléter son instruction. Chrétiens et Juifs avaient été chassés de Rome en 49-50 par l’empereur Claude, accusés de semer des troubles au nom d’un certain Chrestos, ainsi que nous l’apprend l’historien romain Suétone. Qui sont donc ces premiers disciples qui, avec Aquilas et Priscille, se réunissaient à Rome formant une première communauté ? Seraient-ce de ces Juifs qui étaient à Jérusalem le jour de la Pentecôte ?

Se laisser interpeller

Ces quelques réflexions, pour rapides qu’elles soient, pourraient au moins bousculer quelques idées reçues.
Il n’y a pas de rupture entre les évangiles qui nous font connaître l’enseignement de Jésus et la naissance des premières communautés chrétiennes. Ces communautés sont faites d’hommes et de femmes qui ont suivi et écouté Jésus, qui ont été séduits par son message, et se sont rassemblés pour porter témoignage.

Pour les pèlerins en Terre sainte, retour aux sources de la foi

L’Église s’enracine profondément dans l’enseignement évangélique. Il y a continuité, non rupture. On ne peut ni opposer ni distinguer, sinon chronologiquement, le temps de Jésus et le temps de l’Église.
La plupart de ces communautés se sont constituées, assez spontanément sans doute, entre gens partageant une même foi dans le Seigneur. Les Actes des Apôtres mettent en relief l’activité missionnaire de Paul. Mais bien des communautés, comme on vient de le voir, existaient avant Paul : Damas, Antioche, Alexandrie, Ephèse, Rome… sans parler de la communauté de Jérusalem. Certes, Paul fut un organisateur de génie mais on n’organise pas à partir de rien. On n’organise que ce qui donne matière à organisation. L’Église n’est pas née à Rome, mais en Galilée, en Judée et à Jérusalem. Pour grand nombre des chrétiens de chez nous, le synode des Églises du Proche-Orient est passé presque inaperçu. Comme je m’en étonnais auprès d’une de mes connaissances, et m’en scandalisais, je me suis attiré cette réponse : « Oh, c’est compris dans la Semaine missionnaire »…  ! On a beaucoup parlé des racines chrétiennes de l’Europe. Mais nos racines chrétiennes sont au Levant dans cet Orient qui nous est proche. Serions-nous frappés d’amnésie ?

Bernard FAURIE
(Paru dans Présence Mariste N° 267, avril 2011) [/bleu]

[1Juda Hallévi (v. 1075-1141), le plus grand poéte juif espagnol du Moyen-Age, songeait avec mélancolie à la Terre Sainte, où il rêvait d’aller et de finir ses jours.

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