Michel GUILLAUD, prêtre du diocèse de Lyon, est chargé des relations avec le monde musulman. Il a été très lié au Frère Jean-Pierre Lachaize avec lequel il faisait notamment partie des Relais Monde Musulman, des groupes initiés par la Pastorale des Migrants pour permettre aux chrétiens de relire à la lumière de l’Evangile leurs liens avec des musulmans. Nous le remercions vivement de sa présente contribution. |
On entend quelquefois dire que la religion musulmane ne distingue pas le temporel du spirituel. C’est là une vision « essentialiste » qui fait fi de l’histoire et de la diversité du monde musulman. Que dirait-on du christianisme dont la majeure partie de l’histoire après la conversion de Constantin jusqu’à l’époque moderne est précisément celle de la Chrétienté, c’est-à-dire d’un lien très fort entre le christianisme et l’Etat !
Michel Guillaud, à l’église de Chambles (42)
On pourrait dire que les musulmans issus de sociétés traditionnelles ne sont pas habitués à la séparation du spirituel et du temporel, mais ils en goûtent concrètement les avantages dans la société moderne pluraliste où elle leur permet d’exister comme individus et comme communautés, bien que minoritaires.
Ceci dit, leur adhésion ne peut être enthousiaste, dans la mesure où la laïcité est aussi le fait des sociétés complexes marquées par la sécularisation et les difficultés de transmission de la foi et des valeurs d’une génération à l’autre.
Des sociétés traditionnelles à la modernité.
La majeure partie des musulmans habitent ou bien sont issus de sociétés traditionnelles, où il n’y a pas de distinction entre le temporel et le spirituel, quelle que soit la religion considérée.
L’entrée dans la modernité - par l’évolution de son propre pays ou par l’émigration - consiste précisément d’entrer dans une société qui ne prétend plus être homogène, où ce n’est plus la société qui prime sur l’individu, et lui impose sa religion et son mode de vie. Dans la modernité, c’est l’individu, sa conscience et sa subjectivité qui priment.
La laïcité qui suppose la liberté de conscience et la liberté religieuse, est donc une notion éminemment moderne, puisqu’elle prétend non seulement gérer la coexistence de religions différentes, mais aussi garantir la possibilité pour tout citoyen d’adhérer, de ne pas adhérer ou changer de religion.
La liberté religieuse a été explicitement admise par l’Eglise catholique, lors du Concile Vatican II, en 1965, avec la Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae.
L’islam ne connaît pour l’instant aucun texte équivalent.
Témoigner de la foi dans une société sécularisée ?
Quand des catholiques français se demandent si les musulmans acceptent la laïcité française, ils doivent en toute honnêteté se poser la question suivante : Les catholiques français donnent-ils le témoignage que la laïcité est une chance ?
Le livre du Coran
De la réponse à cette question dépend peut-être l’adhésion plus ou moins enthousiaste des musulmans à la laïcité.
La possibilité d’exister, de se constituer en association, d’organiser le culte est certes une chose éminemment positive.
Mais les musulmans sont aussi marqués par d’autres aspects de la société laïque ; et notamment la sécularisation extrême d’une société comme la société française.
Dieu semble avoir été « mis à la porte » de la société, de tout discours public, de l’école, de l’enseignement.
Les catholiques eux-mêmes semblent avoir disparu, en tout cas de l’espace public, passés de la discrétion à la pudeur, et même parfois à l’inhibition. Il faut parfois des mois avant de s’apercevoir qu’un collègue est un « militant chrétien » !
Il n’est donc pas abusif de dire que l’adhésion complète des musulmans français à la laïcité dépend en partie du témoignage que leurs concitoyens chrétiens leur donnent que la laïcité n’a pas tué leur joie de croire, leur capacité à transmettre et témoigner, leur esprit de prière et leur fidélité.
La balle est aussi dans notre camp !
Michel GUILLAUD
(Publié dans « Présence Mariste » n°248, juillet 2006)