Et Dieu dit : votre laïcité, ça me plait
Dix ans déjà ont passé depuis la commémoration du centenaire des lois de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. En 2005 la question n’était plus d’actualité, ni objet de débat. Mais dans son sillage se posait celle de la laïcité, devenue en 2015, un sujet bien sensible, alors qu’il semblait en apparence résolu. Il n’est pas de mon ressort de parler de ce problème d’actualité. D’autres, au fil des articles du dossier de Présence Mariste, le feront beaucoup mieux que moi.
De la tolérance à la liberté de conscience
Le concept de laïcité est apparu bien récemment dans notre civilisation. On n’en saurait trouver trace ni dans l’Ancien Testament ni dans le Nouveau Testament. Et pour cause ! Dans les civilisations anciennes, et pour longtemps encore, pouvoir civil et pouvoir religieux sont étroitement liés et confondus.
Mais devant la violence des guerres, dites de religion, est apparue d’abord la notion de tolérance. Montaigne au 16e siècle (Les Essais L. II, 19), Montesquieu (L’Esprit des Lois, XXV) et Voltaire (Dictionnaire philosophique, art. Tolérance), au 18e siècle, entre autres, en ont été les chantres. Et la notion de tolérance a entraîné comme conséquence celle de la liberté de conscience. Il nous faut bien humblement reconnaître que les religions, au cours des siècles, n’ont pas été des modèles de tolérance. En revanche, elles sont devenues plus vite sensibles à la notion de liberté de conscience. Mais si l‘on exige pour soi-même la liberté de conscience il faut aussi l’admettre pour les autres et donc apprendre à être ouvert aux opinions et croyances d’autrui. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » dit l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du 26 août 1789. Comme quoi, l’Esprit souffle où il veut !
« Le Seigneur est l’Esprit et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (Co 3, 17)
Or, sur la question de la liberté de conscience, Ancien et Nouveau Testaments ont des choses à nous dire. C’est cette liberté de conscience qui a permis au peuple juif de survivre jusqu’à nous malgré toutes les persécutions. Déjà, au second siècle avant notre ère, Judas Macchabée et ses frères avaient combattu la domination des Grecs séleucides et leurs prétentions hégémoniques pour pouvoir affirmer leur foi librement (voir les livres bibliques des Maccabées).
En lisant l’évangile selon saint Matthieu, au chapitre 5, j’imagine la tête des auditeurs entendant Jésus proclamer, à six reprises comme pour enfoncer le clou : « Vous avez appris qu’il a été dit… et moi je vous dis… ». Mais pour qui donc se prend-il celui-là pour remettre en cause l’enseignement des anciens ?
L’apôtre Paul, dans ses lettres, affirme également cette liberté fondamentale. Ainsi dans la seconde lettre aux chrétiens de Corinthe : « Le Seigneur est l’Esprit et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (3,17).
Les premiers chrétiens ont à leur tour revendiqué cette liberté de conscience. Il n’allait pas de soi alors de ne pas s’aligner sur le “politiquement et religieusement correct" ?. Les disciples de Jésus l’ont appris à leurs dépens. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, fait remarquer que « le christianisme ne s’est formé que par la liberté de penser ». Mais, dans l’empire romain, cette liberté de penser pouvait mener tout droit au martyre.
Le concile Vatican II réaffirme avec assurance que « aucune loi humaine ne peut assurer la dignité personnelle et la liberté de l’homme comme le fait l’Évangile du Christ, confié à l’Église. Cet Évangile respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix. » (L’Église dans le monde de ce temps, 41,2).
De la liberté de conscience à la tolérance
S’accorder à soi-même la liberté de conscience et de penser, cela signifie qu’il faut aussi accorder cette même liberté aux autres. C’est ce que l’on appelle la tolérance. Mais ce mot ne convient guère dans la mesure où il connote des idées de condescendance, voire de réprobation. Je préfère parler d’ouverture à autrui, où l’on se considère d’égal à égal. Or nos évangiles enseignent cet esprit d’ouverture aux autres. Ce que le philosophe Bergson a bien vu : « La morale de l’évangile est essentiellement celle de l’âme ouverte » (Les deux sources de la morale et de la religion).
…nos évangiles enseignent cet esprit d’ouverture aux autres."
Pour preuve, par exemple, la généalogie de Jésus. Le généalogiste qu’est l’évangéliste Matthieu (1, 1-17) cite, parmi les ancêtres de Jésus, quatre femmes, ce qui en soit est d’abord surprenant puisque, à l’époque, on ne remonte que d’un géniteur à un autre, comme si les femmes n’y étaient pour rien ! C’est donc bien intentionnellement que, dans cette généalogie, l’évangéliste inclut Tamar, une Cananéenne, Rahav, une prostituée, Ruth, une étrangère de Moab, le pays honni, et cette femme dont il ne dit pas le nom, séduite par David lequel, après avoir fait assassiner son mari, Urie, en fait sa propre épouse. C’est Bethsabée, la mère du roi Salomon.
Jésus lui-même fait preuve d’une ouverture d’esprit qui ne pouvait que choquer ses contemporains. Quelle idée que de proposer comme modèle à des Juifs très pieux ces Samaritains que l’on considère comme des gens infréquentables, des gens pour lesquels on n’a que mépris ! « Les Juifs en effet ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains » nous confie Jean l’évangéliste. C’est un Samaritain qui s’empresse de porter secours à un voyageur agressé et laissé pour mort sur le chemin entre Jérusalem et Jéricho, alors qu’un prêtre et un lévite de passage détournent la tête (Luc 10, 29-37). Ou encore quelle idée d’oser raconter que, sur dix lépreux guéris, un seul vient rendre grâce en louant Dieu. Or c’est encore un Samaritain (Luc 17, 11-19). Mais c’est de la provocation ! Et Jean l’évangéliste nous rapporte une longue conversation de Jésus avec une Samaritaine. Cette femme, dont la vie conjugale est loin d’être claire (elle en est à son sixième mari !) en est éberluée : « Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (Jean 4, 9)
Oui, vraiment, je pense que Dieu doit aimer notre laïcité !