Que ce soit dans l’activité humanitaire, dans l’éducation, dans l’Église ou pour le sport, il nous est souvent demandé de faire preuve de solidarité, pas seulement en donnant de l’argent, mais en donnant de notre temps ou de nos compétences au service d’un projet ou d’une action qui ne pourrait se réaliser sans bénévoles. L’appel est fréquent, mais la réflexion sur le sujet est finalement rare.
Pourquoi des associations ou des institutions font appel au bénévolat ? Parfois, une association n’a pas de permanents, et c’est tout son fonctionnement qui repose sur des bénévoles. Parfois, comme dans l’enseignement catholique ou dans l’humanitaire, il y a coexistence de bénévolat et de travail professionnel. Qu’elle est la source de ces situations ? Ce peut être par manque de moyens, et l’on va demander à des bénévoles de faire gratuitement ce que des salariés feraient si on pouvait les payer. Dans d’autres cas, il y a distinction des tâches, et la présence des bénévoles se situe dans des domaines où il ne s’agit pas vraiment d’un travail rémunérable. Cela n’est pas très facile à définir : il s’agit de situations qui font appel à la générosité, à un engagement personnel ou à une disponibilité qui dépassent ce que l’on peut attendre d’un salarié. Ce pourrait être une piste de réflexion fructueuse que de se demander : qu’est-ce qui est caractéristique d’une tâche confiée à des bénévoles ou à des professionnels ? Tous les rôles sont-ils interchangeables ?
Le bénévole est quelqu’un de disponible, ou plutôt quelqu’un dont on attend qu’il soit disponible. Quand il l’est, c’est normal, quand il l’est moins, on soupire, en disant : « c’est un bénévole, on ne peut pas compter sur lui… » Mais que donne le bénévole ? Prend-on le temps de se demander, et de dire clairement ce que l’on attend des bénévoles ?
Les raisons pour lesquelles on « recrute » un bénévole sont diverses : son temps libre, sa gentillesse, ses compétences, son carnet d’adresses, son compte en banque, ses fonctions à la mairie… De son côté, les formes de son engagement seront très variées, et ne correspondront pas toujours à ce qu’on attendait. Il serait tout à fait limité de considérer qu’un bénévole est quelqu’un qui se limite à donner de son temps. Il se donne lui-même en donnant du temps, même pour une tâche qui demande peu de compétences. En se donnant, il se lie explicitement avec une institution ou une communauté humaine dont il est perçu comme partie prenante.
Le sociologue J. Godbout dit que dans le don, « l’échange de biens est au service du lien entre les personnes. » Ce n’est pas le cas dans le commerce, par exemple, où l’échange de bien n’est pas là pour constituer ou renforcer le lien entre commerçant et client. Ce que l’on donne dans le bénévolat, temps, compétence etc., peut-il être envisagé de cette manière ? Au service de quel lien ? Entre quelles personnes ?
Les Français sont capables de se donner sans compter et de déployer une énergie incroyable pour organiser fêtes, rencontres, parrainages, concours sportifs ou actions humanitaires à l’autre bout du monde. Pourquoi est-il si courant de donner, de se donner dans le registre du bénévolat, alors que l’on est si réticent à donner plus dans le travail, ou à se donner sur le long terme dans le mariage ?
Chez les catholiques, la fin de la messe dominicale est souvent marquée par une interminable litanie d’appels aux bonnes volontés. « Il faudrait, c’est important, si personne…, on ne pourra pas, etc. » L’appel est vibrant, mais ne suscite souvent aucune réaction, aucun engagement. Mais pourquoi diable irait-on se proposer dans de telles conditions, pour faire tourner des activités dont on parle de manière morne et triste, en mettant surtout en avant le fait que les bénévoles qui s’en occupent sont peu nombreux, et qu’ils sont fatigués ? Est-ce qu’on fait preuve de solidarité parce qu’il le faut, ou parce qu’on en a le désir ? Parce qu’on est convaincu que l’on sera plus humain en se donnant ?
Il peut être utile, en particulier pour des responsables d’institutions ou d’associations regroupant des bénévoles de se poser de temps en temps la question de savoir ce que les bénévoles reçoivent. Qu’est-ce qui est bon pour eux dans leur activité ? Il est certes indispensable de distinguer les biens que l’on reçoit et les biens que l’on cherche. On ne s’engage pas pour se faire du bien. Mais dans une société urbaine souvent génératrice de solitude, le bénévolat apporte souvent du lien social, des occasions de rencontres. Il y a tout le registre de la reconnaissance. La plupart des gens sont prêts à donner beaucoup d’eux-mêmes, à la condition que ce qu’ils font soit reconnu. Si, dans le bénévolat, la reconnaissance n’est pas financière, sous le mode du salaire, il faut être attentif à ce qu’elle s’exprime par d’autres moyens. On a le droit, et le devoir, de savoir dire merci à un bénévole, mais aussi de lui dire clairement ce qui ne va pas. Quelle tristesse quand nous avons l’impression que nous ne comptons pour personne, que ce que nous faisons, pourrait aussi bien ne pas exister, cela ne changerait rien.
Cette question, comme les précédentes est complexe. On peut y répondre oui et non. Oui, le bénévolat est hors la loi, au sens où aucune loi ne peut l’imposer. Le dictionnaire Robert énonce en effet que « le bénévole est quelqu’un qui fait quelque chose gratuitement et sans obligation. » C’est là l’un des aspects les plus importants du bénévolat : il se situe dans le registre de la liberté, il repose sur la bonne volonté, selon son étymologie.
Mais non, le bénévole n’est pas hors la loi, car son engagement ne le place pas en dehors de toute norme. Quand on est bénévole, on n’a pas de contrat de travail, on a un statut plus ou moins flou, et on n’a pas à affronter, comme dans la vie professionnelle, de procédure d’évaluation de ce que l’on fait. « C’est déjà bien que je sois là ! » Est-ce une façon juste de s’engager que de penser comme cela ? Est-ce que l’engagement bénévole implique que l’on est intouchable, inamovible, inaccessible aux conseils ou à la critique ? Être bénévole ne donne pas tous les droits. On est là sans obligation, mais pas sans devoir.
Professeur à la faculté de théologie - Université Catholique de Lyon