Selon les époques, les sociétés et les individus se reconnaissent dans divers types idéaux qu’ils soient institutionnels ou charismatiques.
Au plan institutionnel : Georges Dumézil a établi la théorie de la tri-fonctionnalité dans le monde aryen : le producteur, le guerrier, le prêtre.
Au plan charismatique je verrais : le héros, le saint, la star. Le sage, le prophète, le savant, l’artiste, le capitaine, l’imperator, le savant, l’acteur, le chevalier, l’aventurier, l’explorateur… étant des variantes de ces trois catégories majeures.
Pascal, dans les trois ordres avait déjà reconnu et hiérarchisé trois types de grandeur chez les hommes : l’ordre de la chair (rois, riches, capitaines) ; de l’esprit (Archimède) ; de la sainteté (Jésus-Christ).
À mon avis, pour rendre compte de la comparaison du héros et du saint il faut ajouter la catégorie plus actuelle de la star. Évidemment ces catégories ne fonctionnent jamais à l’état pur mais s’interpénètrent les unes les autres, de même qu’elles se combinent avec des catégories institutionnelles. Par exemple : Jeanne d’Arc, héroïne et sainte (tardivement) ; Louis IX roi et saint ; les empereurs romains héroïsés et divinisés après leur mort (Apothéose). Un exemple assez typique de cet amalgame entre catégories : le panthéon de Paris. Il reste que l’on peut essayer de définir ces trois idéaux types.
LE HÉROS
Il est typique des sociétés aristocratiques et guerrières. Son archétype pourrait être Achille (L’Iliade) ou Prométhée. Il est un personnage tragique en ce sens qu’au-dessus de lui et même des dieux, il y a le destin.
Mais cette situation tragique ne l’empêche pas d’affronter son destin par l’affirmation de soi jusqu’à l’extrême. Il défie la mort pour atteindre à l’immortalité. Sa victoire ou (et) sa mort, même parfois sa défaite, lui assurent la gloire. Son tombeau est vénéré et les poètes chantent ses exploits. Le héros vit un lien privilégié au sacré, au monde divin personnel ou impersonnel. Quoique soumis au destin Il est un demi-dieu, ou protégé de quelque divinité (Achille). Il peut même être révolté contre les dieux (Prométhée).
La Bible présente un schéma à la fois semblable et différent car Yahvé n’est pas une divinité impersonnelle et capricieuse et il n’y a nul destin au-dessus de lui. Pour autant sa présence est mystérieuse. Jacob est « fort contre dieu » ; David, qui tue Goliath, est élu de Dieu ; Samson est fort parce que consacré à Dieu (ses cheveux)…
Ce concept du héros traverse les temps en se laïcisant (plus apparemment qu’en profondeur) ; en se démocratisant (le soldat inconnu, les décorations…) ; en se diversifiant : à la Renaissance l’artiste se considère comme un héros ; le savant comme héros (Marie Curie) ; le politicien (Marat) ; le grand capitaine (Napoléon)…
LE SAINT
Il est issu d’un monde religieux au sens le plus fort. Le concept de sainteté dans l’antiquité païenne ? En fait l’antiquité païenne vénère le philosophe (stoïcisme, platonisme) le sage. Dans la tradition biblique il est l’homme de la transcendance face à un monde englué dans le séculier ou l’idolâtrie. C’est un personnage tragique en ce sens qu’il s’affirme TÉMOIN d’un transcendant inatteignable (mystère) mais source de vie (immortalité) : Dieu, la Vérité, le Bien… Le Christ est le témoin par excellence.
Comme le héros il s’inscrit aussi dans un élitisme ; mais celui-ci n’est ni aristocratique, ni institutionnel. Il peut même être anti-institutionnel : c’est le prophète (Elie…), le martyr, l’ascète (exploit ascétique), le missionnaire…
C’est un idéal qui perd souvent son noyau transcendant et tend à s’amalgame à l’héroïsme (le chevalier ; l’héroïcité des vertus des procès de béatification). Il peut se politiser (Jeanne d’Arc, St Louis…) se laïciser (le saint laïque du XIXe ; l’instituteur public « saint sans espérance »… Finalement c’est un idéal qui se démocratise : la sainteté pour tous (ALS ch. XX-XXI). Le devoir d’état comme forme de sainteté (Champagnat).
Le martyre demeure comme forme de témoignage suprême mais au service de toutes sortes de causes, comme si le sacrifice de sa vie l’emportait sur la légitimité d’une cause (le suicide comme spectacle…) et par le fait même donnait à cette cause ses lettres de noblesse. D’où le souci des sociétés occidentales d’éviter de faire des victimes ; ce qui n’empêche pas les individus et les groupes revendicatifs de se prétendre victimes (idéologie victimaire).
LA STAR
La tendance lourde de la sécularisation est d’engendrer des gnoses (spéculations ésotériques comme Le Temple solaire, Les Raëliens…) en général par combinaison entre sciences et imaginaires, sans souci de rationalité « La Sainte ignorance ». Est vrai ce qui crée en moi la plus forte émotion. D’où tendance aux extrêmes : divinisation et diabolisation. Al Qu’Aïda et Daesch comme manifestations « du star system » et retour du politico-religieux ? Le système médiatico-judiciaire comme arbitre de la divinisation et de la diabolisation.
Le héros et le saint ont toujours été célébrés, parfois durant leur vie, le plus souvent après leur mort. Mais la « star » est une création récente issue du monde médiatique, consumériste et sécularisé. La star n’est pas inscrite dans le tragique : pas de recherche de l’immortalité. Pas d’éthique exigeante. Elle incarne les désirs et les fantasmes des individus et des foules ici et maintenant. La star n’existe que par le spectacle. D’où son hyper proximité (capacité de communion avec le public dans le « show ». Mais aussi son hyper éloignement : une image sur écran ou sur papier glacé… Très politique au départ (Hitler, Staline…) ce type s’est répandu avec les capacités médiatiques (cinéma, télévision…).
La star s’inscrit dans un sacré qui n’est pas reconnu comme tel : c’est une icône, une « idole des jeunes »… Le spectacle comme lieu de la transe : de l’extase (on « s’éclate ») ou au moins de l’émotion (les informations…). Au fond, la sécularisation et la technicité médiatique sécrètent un religieux archaïque permettant aux individus et aux foules d’aller jusqu’à ressentir une ivresse dionysiaque (l’hystérie collective des stades…).
Ainsi, la star n’est ni héroïque, ni sainte mais plutôt une incarnation du divin (ou du démoniaque) même si certains traits du héros et du saint se retrouvent chez elle (Mère Teresa, Jean-Paul II) : vie intense plutôt que longue, immortalité, vénération de son vivant et post-mortem (Aznavour)… Elle sécrète en général une religiosité fugace ; mais certaines stars (Claude François ; Johnny Hallyday…) sont capables, plus ou moins volontairement, d’engendrer des rites et un culte durables.
Surtout, des personnalités comme Hulot ont donné à l’écologie les traits d’une quasi-religion se prétendant scientifique, tout en suscitant une émotion forte (sauver la planète…) et même des rituels nombreux (manifestations…) entretenus par un clergé dominant (les journalistes, les associations). Dans une large mesure l’écologie fonctionne comme une gnose (Gaïa…) et une idéologie (pensée correcte). La force (et la faiblesse) de la star est d’incarner l’une ou (et) l’autre. Par ailleurs dans quelle mesure sa notoriété vient-elle de la légitimité de sa cause, de son art ou de sa consistance propre, et non de sa fabrication par les techniques médiatiques ? En fait, contrairement au héros ou au saint qui sont consacrés par le temps, la star est affrontée au temps qui passe et peut s’y dissoudre. La star qui résiste au temps se rapproche du modèle du héros, plus rarement du saint.