Le bidonville « le camp », situé presque au centre de la ville, était entouré de murs assez hauts pour empêcher les passants de voir la misère qui existait à l’intérieur et de fait, peu d’habitants de la ville connaissaient son existence . Quatre vingt dix familles de 4 à 9 personnes y habitaient, s’entassant chacune dans une baraque en tôle de 4 m x 4 m. Conséquence de l’exode rural vers la ville, « le camp » devait être pour eux une étape, la moins chère, avant d’accéder à l’H.L.M. Mais la plupart d’entre eux était là depuis des années, ne gagnant pas assez d’argent pour avoir mieux.
Un beau jour, la municipalité de la ville, qui avait, depuis 50 ans, toléré ces baraques construites sans permission et sur un terrain municipal, décida d’expulser les habitants et les bulldozers se sont aussitôt mis à la tâche. Ce jour-là, le Fr. Georges nous invita Leyla, ma femme, et moi, à aller voir. Nous y sommes allés, nous avons vu, écouté, senti la misère , de ces gens qui allaient se retrouver du jour au lendemain dans la rue. Indignés, comme beaucoup d’autres qui n’ont pas bougé, nous avons décidé de répondre à l’appel de nos frères. Sans structures, sans expérience préalable, animés par le seul souci d’aider notre prochain, nous avons, avec audace, relevé le défi. Aidés par d’autres laïcs nous avons organisé une campagne de collecte de fonds qui en une semaine nous a fourni assez d’argent pour pouvoir loger une dizaine de familles dans des appartements achetés et inscrits en leur nom.
Depuis, nous avons pu loger toutes les familles du camp, quels que soient leur rite ou leur confession, et notre histoire a tellement fait du bruit en ville que tous les sans-abris viennent nous demander de l’aide spontanément ou envoyés par des familles que nous avons déjà aidées ou par les curés des paroisses. Souvent nous constatons que leur pauvreté matérielle découle de leur pauvreté mentale et bien que nous soyons tentés très souvent de leur faire la leçon, nous les acceptons tels qu’ils sont et nous essayons de respecter leur dignité. Avec eux nous voulons vivre l’amour et non faire l’aumône. Nous essayons d’évaluer leur besoin et non leur mérite. Malgré nos moyens financiers limités, nous avons, en quelques années, pu loger une centaine de familles . La disponibilité devant l’urgence des situations fait notre particularité par rapport aux sociétés caritatives dont la démarche est alourdie par des critères bureaucratiques.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire. D’une part nous continuons à garder une relation fraternelle avec nos amis pour les aider à améliorer leur existence, à se mettre debout, à ne pas être des assistés permanents ; d’autre part, nous avions constaté dès le début, que les enfants de ces familles pauvres étaient voués à l’échec scolaire, parce que les parents, illettrés ne pouvaient pas les aider dans leurs études. Une trentaine de jeunes, garçons et filles, remplacés par d’autres au fil des années, et formés par nous, vont à deux, deux à trois fois par semaine, visiter les familles et suivre les études des enfants. Quand notre projet démarra nous n’aurions jamais imaginé la dimension qu’il allait prendre. Pour les autres, nous étions des fous, au mieux des inconscients. Nous pensons tout simplement que nous avions de l’audace, l’audace de vivre l’Evangile, de vivre l’Amour, de vivre la solidarité avec notre prochain. Cette belle aventure, nous continuons à la vivre avec les Frères, en véritables partenaires. Les valeurs maristes : la disponibilité, la simplicité, la présence, la modestie, l’esprit de famille etc.. sont nos repères sur le chemin de l’Evangile.
Nabil ANTAKI Alep - Syrie