« Nous avons le souci des pauvres »,
me disait hier une religieuse, directrice d’école. C’était vrai. Je me demandais alors si nos écoles avaient réellement ce souci, de manière réaliste. Qui sont donc les pauvres dans l’école ? Que signifie avoir le souci des pauvres ?
NOS ECOLES ET LES PAUVRES
Servante des pauvres, l’Eglise suscite, au cours des âges, des familles religieuses adaptées aux besoins du temps. C’est ainsi, qu’après la Révolution Française, sont nées des congrégations d’enseignants, entre autres celle des Frères Maristes. Fondée le 2 janvier 1817, par l’abbé Marcellin Champagnat, elle avait pour but l’instruction et l’éducation des enfants des campagnes, les plus pauvres et les plus délaissés alors.
Depuis, nos écoles ont évolué. Je constate toutefois que les Frères Maristes de France ne se sont pas spécialisés dans l’enseignement technique ou agricole, ni dans l’éducation des délinquants, des débiles, des handicapés, etc..
Nous sommes dans des écoles, des collèges et des lycées sous contrats. C’est pour ce milieu-là que je pose le problème du service des pauvres, car il y a des pauvres parmi nous.
LES PAUVRES DANS NOS ECOLES
Ils ne sont pas gênants les pauvres qui sont loin, mais les affamés qui vous regardent manger vous coupent l’appétit. Ces pauvres qui sont là tout proches, notre prochain, sont pourtant nos maîtres si nous voulons être chrétiens. Toutefois, que de prétextes ne va-t-on pas trouver pour se dispenser de les servir. Mais, il faut le dire tout net et très fort, ce refus est une trahison.
Pour les pauvres d’argent, que peuvent faire nos écoles qui ne sont pas gratuites ? Des actions politiques ont déterminé le vote des lois Barangé, Debré, Le Guermeur. L’action politique devra assurer l’évolution de l’organisation scolaire en France.
Actuellement, nos écoles prélèvent des mensualités et, de ce fait, opèrent une sélection par l’argent. Pour corriger ce défaut, certaines écoles ont établi des mensualités modulées en fonction du salaire des parents. Toutes nos écoles consentent des réductions, certaines assurent des bourses d’études. Malgré tout, on ne peut pas dire que l’enseignement catholique est ouvert à tous tant qu’il ne sera pas gratuit.
Dépister les enfants en difficultés scolaires
Pour les enfants en difficultés scolaires, un dépistage scientifique n’est pas possible et, heureusement, ce n’est pas nécessaire, sauf exception, puisque les enfants qui fréquentent nos écoles sont des enfants normaux.
Toutefois, les enseignants qui connaissent leur métier possèdent des recettes. Peut-être, hésitent-ils à les utiliser : on a tellement dénigré les recettes et préconisé la pédagogie scientifique. Les jeunes, par contre, ne manqueraient pas d’audace, mais ils manquent d’expérience. Par conséquent, la collaboration jeunes-moins jeunes devrait être très efficace.
Enfin, pour aider les enseignants dans toute leur action pédagogique, les postes de conseillers pédagogiques et de psychologues scolaires devraient se multiplier. Cela suppose également que ces personnels devraient être agréés et rémunérés.
Pour remédier aux difficultés scolaires, les enseignants font appel aux cours particuliers. Ils organisent des groupes de niveau dans la classe pour faciliter un enseignement de rattrapage ou de soutien. Parfois, mais c’est plus rare, ils instaurent l’enseignement individualisé. Malgré tout, ils ont bien des difficultés pour assurer les récupérations. Aussi, leur conseille-t-on le système de la révision permanente qu’ils connaissent bien et qui est à la portée de tous. Ce système donnerait d’excellents résultats à condition de s’assurer que la révision n’est pas une répétition pure et simple des exercices précédents. On pourrait dire de la révision, si je puis me permettre cette comparaison, qu’elle est « l’art d’apprêter les restes ».
Quel remède pour les mal aimés ?
Pour les mal aimés, un seul remède : les aimer, les aimer avec patience, courage et fermeté, car il faut s’attendre, de leur part, à des comportements de repli sur soi, d’affabulation, de chantage, d’agressivité et de vengeance. Il faut avouer cependant que l’école est impuissante à venir en aide aux enfants des foyers perturbés par la discorde ou le divorce.
Je me souviens d’une enquête sociale avant divorce. L’enfant à qui on demandait : « Tu veux ton papa ou ta maman ? » répondit : « Je veux mon papa, ma maman et mon chien ».
Pour les enfants difficiles, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. L’exclusion d’un élève difficile est toujours un aveu d’impuissance. Ces enfants ont une forte personnalité très souvent. Ils feront leur chemin dans la vie : que d’exemples en feraient la preuve. Dans notre action d’éducateurs, penser que, dans quelques années, nos jeunes nous jugeront, et, à travers nous, ils jugeront l’école catholique et la religion qu’elle enseigne.
Que faire pour les « ignorants de Dieu » ?
Pour les ignorants de Dieu, la catéchèse, c’est-à-dire l’enseignement de la religion, les célébrations, la messe, les sacrements et le témoignage.
Malgré tout ce qu’on a pu dire, l’école est un milieu privilégié pour la catéchèse : ce fut l’intuition du Père Champagnat.
Mais, il y a de plus en plus d’enfants ignorants de Dieu dans nos écoles : c’est une raison supplémentaire pour notre zèle.
« Jésus eut pitié de la foule car ils étaient comme des brebis sans berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses ». (Marc, 6, 34).
Mais, la catéchèse a évolué, comme les méthodes d’enseignement par ailleurs : d’où la nécessité d’organiser des recyclages pour les parents et pour les enseignants.
Mais, l’indifférence religieuse sinon l’hostilité s’affirme de plus en plus :
« apprends ta grammaire et f… moi la paix avec ton catéchisme » :
c’est que « notre temps, disait Paul VI, a plus besoin de témoins que de prêcheurs ».
Mais, la catéchèse ne donne pas de résultats : d’abord, qu’en savons-nous, ensuite c’est bien possible, enfin on ne fait pas l’œuvre de Dieu sans Dieu.
« Un catéchisme bien fait doit être arrosé par la prière »,
disait Marcellin Champagnat. Mais, la catéchèse est compromettante : c’est vrai qu’elle n’est pas seulement un enseignement mais une vie qui engage les catéchistes. Pour nous dispenser de la catéchèse, nous trouverons mille prétextes mais aucune raison valable car Jésus a ordonné :
« Allez, enseignez… » (Marc, 16, 15).
Puissions-nous, dans chacune de nos écoles, dire comme Jésus :
« L’Evangile est annoncé aux pauvres ». (Matthieu, II, 5)
Lagny, le 2 janvier 1979
Fr. A. PARREL
(Publié dans « Présence Mariste » n°139, avril 1979)
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