L’enseignement évangélique
Dans l’évangile de Matthieu, les enseignements de Jésus prennent fin avec la description prophétique du jugement dernier. Et c’est ce même texte que l’Eglise a choisi, pour le faire lire lors de la célébration eucharistique du dernier dimanche de l’année liturgique, qui se trouve être aussi la fête du Christ-Roi. C’est dire l’importance de ces ultimes enseignements qui nous sont laissés comme des directives fondamentales et un programme de vie.
Or que nous dit Jésus ? C’est que nous serons jugés, à la fin des temps, d’après nos actes de solidarité envers tous ceux qui, physiquement ou spirituellement, sont dans le besoin. Les élus s’entendront dire :
« Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ? Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi ? Et le roi leur répondra : En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25, 34 et sv.)
Quant aux réprouvés, ils sont rejetés justement pour n’avoir rien fait de tout cela.
La tradition juive
En prononçant ces paroles, réconfortantes pour les uns, amères pour les autres, Jésus ne fait que rappeler le devoir de solidarité que la Bible enseigne avec tant d’insistance. Cela va du droit de glane - que l’on se souvienne de l’histoire de Ruth - et de la dîme pour les pauvres, à la remise des dettes et à la libération des esclaves lors de l’année sabbatique.
La justice sociale est un thème récurrent chez les prophètes, tel Amos qui s’enflamme contre les puissants et les repus
« qui s’acharnent sur le pauvre pour anéantir les humbles du pays. » (Am 8,4)
ou Michée qui s’emporte contre les injustices :
« Puis-je vous tenir quitte pour des balances iniques ? pour un sac de poids truqués ? Ville dont les riches sont pleins de violence et dont les habitants parlent avec fourberie ; dans leur bouche leur langue n’est que tromperie. » (Mi 6,11-12)
tel encore Isaïe qui se dit
"envoyé pour porter joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs l’évasion, aux prisonniers l’éblouissement, proclamer l’année de la faveur du Seigneur, le jour de la vengeance de notre Dieu » (ls 61, 1-2).
Pour Isaïe, cette justice s’étend à tous. Les maîtres du Talmud reprendront le même message dépassant toujours l’étroit particularisme religieux :
« Nous ne devons pas exclure les païens pauvres du bénéfice des ordonnances relatives aux glaneurs, aux épis oubliés et au coin du champ » lit-on dans le traité Guittin. Et de manière plus générale :
« Nos rabbis ont enseigné : Il convient de secourir les pauvres des autres nations en même temps que les pauvres d’Israël, de visiter les malades des autres nations en même temps que les malades d’Israël, d’enterrer les morts des autres nations aussi bien que les morts d’Israël. Et cela pour préserver la paix. »
La solidarité dans les premières communautés chrétiennes
Un exemple particulièrement frappant de cette continuité dans laquelle s’inscrit le christianisme naissant est celui de la collecte pour les pauvres. La collecte s’origine dans la dîme triennale que doit prélever tout Israélite sur ses récoltes pour la donner
« au lévite - qui n’a pas de revenus - à l’émigré, à l’orphelin et à la veuve. » (Dt 14, 28-29).
Le judaïsme connaissait, et connaît encore, la pratique de la collecte, confiée à des « collecteurs de dîmes ».
Collecte de médicaments pour l’Afrique
Les Actes des apôtres et les lettres de Paul font état de deux collectes en faveur des chrétiens de Jérusalem et de Judée. La première se situe vers 47 au temps de l’empereur Claude à l’occasion d’une famine :
« Les disciples décidèrent alors qu’ils enverraient, selon les ressources de chacun, une contribution au service des frères qui habitaient la Judée. » (Ac 11, 29-30)
Paul semble avoir pris particulièrement à cœur une seconde collecte, quelques années plus tard, vers 55, évoquée dans les Actes (Ac 24, 17) et dans la lettre aux Romains (Rm 15, 25-29) vraisemblablement à l’occasion d’une autre famine : il en sévissait périodiquement en Judée, comme à l’époque d’Abraham et d’Isaac, ainsi que le rapporte le livre de la Genèse (12, 10 ; 26, 1).
Les fréquents appels à la solidarité dans nos sociétés modernes, ponctuels comme pour les victimes d’un Tsunami ou d’un tremblement de terre, périodiques comme pour le Téléthon ou les urgences des Restos du cœur, s’inscrivent donc dans une longue histoire, car malheureusement
« nous avons toujours des pauvres parmi nous » (Mt 26, 11).
Paul en explique longuement le sens dans sa deuxième lettre aux Corinthiens. La générosité des disciples de Jésus doit être à l’exemple de leur maître.
« Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus-Christ qui, pour nous, de riche qu’il était s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté. » (2 Co 8, 9)
Ce partage des biens est affaire de justice sociale, car
« il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais d’établir l’égalité. » (2 Co 8, 13)
Il n’est donc pas question d’une charité condescendante mais de mettre en commun les biens que Dieu nous donne, biens auxquels tout un chacun a légitimement droit, et d’en rendre grâce à Dieu. Quant à la manière de donner :
« Que chacun donne selon la décision de son cœur, sans chagrin ni contrainte, car Dieu aime celui qui donne avec joie. » (2 Co 9, 7)
L’amour du prochain, ainsi concrétisé par la solidarité entre tous, se fonde dans la foi au Christ et manifeste l’authenticité de cette foi. Ces actes de solidarité, en rendant visibles les liens qui unissent les chrétiens, rendent également visible le corps mystique du Christ qui est l’Eglise et ils sont l’occasion
« de faire abonder les actions de grâce envers Dieu. » (2 Co 9, 12)
Bernard FAURIE
Paru dans « Présence Mariste » n° 247, avril 2006