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Ose la philo !

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Une longue expérience d’animation de cafés philos m’a définitivement convaincu que la philosophie peut être faite par tous, et notamment par des adolescents. Cela ne fera pas d’eux des philosophes mais ils auront découvert un exercice de la pensée qui pourra compléter opportunément d’autres sortes de savoirs. (Publié dans « Présence Mariste » n°280, juillet 2014)

"Sapientia : nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible." Charles de Montesquieu -“La Condition Humaine”
Yves Gerbal, Professeur, auteur polygraphee, critique d’art et chroniqueur culturel

La philo, ce n’est pas un gros mot !

C’est par cette formule un peu provocatrice écrite au tableau que j’ai pris l’habitude de commencer mon premier cours. Je demande aux élèves de me dire comment ils comprennent cette phrase qui ressemble à un slogan publicitaire. Ils la commentent assez facilement. Ce mot, il ne faut le considérer ni comme trop “gros”, pas à notre portée, ni comme une injure, comme parfois on le fait de l’adjectif “intello” dans une époque de paresse de la pensée… Il ne faut donc pas “s’interdire” la philo.

…ce superflu est très nécessaire
En début d’année, il me semble capital de poser les bases d’une pratique. Se demander de quoi l’on parle, c’est commencer… à philosopher ! Cela est d’autant plus nécessaire que la matière suscite à la fois curiosité et inquiétude. On la découvre seulement en dernière année du lycée, et elle s’accompagne de nombreux préjugés : cours abscons, sujets difficiles, notes sévères… Autant d’a priori qui se transmettent même de génération en génération ! Je prends donc le temps qu’il faut pour présenter cette discipline exaltante qui est aussi une école de la rigueur.

La philosophie, c’est penser la vie

Il faut dépasser aussi un autre préjugé tenace : la philo, c’est bien connu, ne sert à rien ! Face à des élèves (et des parents) consommateurs, il faut rappeler que ce superflu est très nécessaire. Rien de ce qui est dans la vie ne lui est totalement étranger puisque la philosophie c’est penser la vie. Il faut se représenter le philosophe en ouvrier de la pensée. Nos élèves sont des apprentis parfois maladroits et cruellement démunis d’outils linguistiques, mais s’ils le veulent ils peuvent au moins découvrir des horizons qu’ils n’oublieront jamais. Une longue expérience d’animation de cafés philos m’a définitivement convaincu que la philosophie peut être faite par tous, et notamment par des adolescents. Cela ne fera pas d’eux des philosophes mais ils auront découvert un exercice de la pensée qui pourra compléter opportunément d’autres sortes de savoirs.

Texte ! Yves Gerbal
Photo : Julien Rolland, étudiant en BTS Design graphique à St Jo Marseille

Évidemment, il ne s’agit pas de prétendre que cela est facile.
La philo n’est pas une mince affaire. Le mot a une riche histoire. Cette pratique est exigeante. Philosopher c’est considérer que tout peut être repensé, que rien ne va de soi. Cet apprentissage nécessite de réels efforts et notamment une bonne dose de travail personnel qui vient compléter le balisage du chemin donné en cours : définitions, mots-clés, problématiques essentielles, références incontournables. Mais cet effort-là, comme tant d’autres, peut être source de plaisir. Il faut d’abord donner envie. Si l’élève accepte de s’engager dans ce chemin, tout n’est pas gagné mais tout est possible.

Une fois le terrain déminé, on peut avancer ensemble plus sereinement et poser les questions essentielles.

  • Qu’est-ce que l’homme ?
  • Comment vivre ? Que sais-je ?
    Ces questions, impressionnantes de prime abord, le programme permet de les aborder par le biais des notions obligatoires qui sont autant d’entrées dans la matière.

Plutôt une bossole qu’un GPS

Car, bien sûr, il y a un programme, des thèmes et un savoir-faire à acquérir. Il faut être clair, rigoureux, méthodique. Eviter de perdre du temps mais savoir faire des détours. La philosophie enseigne la nuance et la mesure. Elle cherche l’essentiel en acceptant la complexité. Il faut prendre en compte toutes les difficultés d’élèves parfois désorientés et leur donner une boussole plutôt qu’un GPS. Devant un sujet, à eux de proposer un itinéraire, sans perdre le nord !

Il faut absolument respecter le cahier des charges : préparer une épreuve du BAC que beaucoup redoutent. Il faut rassurer. Oui, il est possible pour chacun, à condition d’être motivé et appliqué, d’obtenir une note correcte. Ceux qui maîtrisent mieux le langage écrit peuvent davantage valoriser leur travail de réflexion, mais tous peuvent montrer ce qu’ils ont acquis en cours d’année.

Le prof de philo possède de nombreux outils qui aujourd’hui l’aident à concevoir un cours de manière attractive : internet, émissions télé, cinéma, magazines… D’une certaine façon, la philosophie est aujourd’hui “à la mode” grâce à quelques philosophes médiatiques. Pourquoi se priver de leur aide ?

Donner aux élèves une boussole plutôt qu’un GPS
Photo : Fotofolia

Enseigner l’art du questionnement

Enseigner la philosophie, c’est enseigner l’art du questionnement plutôt que celui de la réponse, c’est obliger chaque élève à reconsidérer ce qu’il croit être des évidences et qui ne sont souvent que des illusions. Enseigner la philosophie, c’est donc aussi bouleverser parfois de jeunes esprits. On voit bien comment certaines interrogations viennent rejoindre les leurs. Aucune réponse à leur donner, mais affronter leurs questions, les rassurer sur la légitimité de leurs doutes, les accompagner sur un cheminement personnel tout en restant absolument à l’extérieur de leur intimité. Penser sa vie pour vivre sa pensée : cela n’est pas sans risques. Au maître, moraliste mais pas moralisateur, de les mesurer, de les formuler, sans crainte mais avec lucidité.

Il me semble essentiel que les élèves comprennent que la philosophie est un détour qui doit nous ramener vers la vie et surtout ne pas tendre vers une pure abstraction qui ne serait qu’un squelette sans corps. Rien de plus déprimant pour de jeunes adultes pleins de vie !

La philosophie, comme le dit son étymologie, est amour de la sagesse et amour du savoir. Pour cet enseignement, il faut, comme en toute pédagogie, aimer les élèves et aimer transmettre. On se souvient de la fameuse injonction latine de Kant : « Sapere aude ! ». Ose te servir de ton entendement, ose savoir ! Disons aux élèves : ose la philo !

De quoi témoigner surtout ici, finalement ? De ma joie d’enseigner une matière dont les élèves pourront faire leur miel dans leur quête d’autonomie. La philosophie est une pratique de l’allégresse.

Yves GERBAL,
Lycée Saint-Joseph les Maristes - Marseille
(Publié dans « Présence Mariste » n°280, juillet 2014)

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