Communication et Education

Bernard Méha, Frère Mariste, enseignant retraité, est soucieux d’éducation. Ses lectures, sa recherche personnelle, son observation, attirent l’attention sur le prix à payer pour aller à la conquête de la « liberté intérieure »

Quel est l’éducateur, le professeur qui n’a pas rêvé d’être parfaitement compris de ses élèves, d’être à même de transmettre non seulement ses connaissances, mais aussi toute son expérience ?

Il faut beaucoup de lucidité pour reconnaître que c’est impossible au moins jusqu’à un certain point. La sagesse populaire le confirme : "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait…"
« Quand vous êtes avec un enfant, vous êtes devant lui avec votre expérience et vos principes. Ce n’est rien de tout ça qui influera sur lui. Votre expérience de la vie, elle est intransmissible. Elle ne vaut que pour vous seul. (…) On transmet à un enfant ce qu’on est, jamais ce qu’on croit qu’il faut être »
(Christian BOBIN, La merveille et l’obscur).

LA VISEE PEDAGOGIQUE

Pourtant, depuis des générations la pédagogie, une science et un art à la fois, s’est évertuée à améliorer les procédés et les techniques pour mieux transmettre la science et l’expérience des générations qui s’en vont à celles qui prennent la relève.

On a certainement fait de grands progrès. Les enseignants sont mieux préparés à leur mission. On a inventé toutes espèces de méthodes plus astucieuses les unes que les autres. On les a consciencieusement testées avant de les diffuser. Les procédés pédagogiques mis en œuvre sont de plus en plus sophistiqués. On raconte que le Bienheureux Champagnat avait été assez irrité de la confiance exagérée qu’un jeune Frère de l’époque avait mis dans ce qu’il appelait « ses grands moyens de succès », ceux qu’on connaissait en ce temps-là : les beaux modèles d’écriture, les grandes images, panneaux ou tableaux - ancêtres de nos affiches ou posters - dont on tapissait les murs des classes…(1) A l’école, on savait déjà mobiliser l’oreille, répétant à satiété ce qu’on voulait faire enregistrer définitivement, mais on n’avait ni magnétophones ni radios, on mobilisait les yeux des enfants mais on n’avait pas les outils que l’on a aujourd’hui : diapos, vidéos, téléviseurs.

L’ARRIVEE DE L’INFORMATIQUE

Nous sommes en train de franchir un nouveau seuil semble-t-il avec l’arrivée de l’informatique. Pourquoi ?

Tout d’abord avec ces nouveaux outils le message qu’on veut transmettre peut être analysé, expliqué au sens étymologique, (c’est-à-dire simplifié, réduit à des éléments simples plus facilement assimilables) comme jamais on n’aurait pu le faire auparavant. L’éducateur, assisté d’un programmeur, peut concevoir un logiciel, qui guidera l’élève pas à pas, en lui évitant tous les écueils. On sait qu’un professeur a parfois du mal à imaginer les difficultés que l’élève rencontre et qui lui font perdre pied. Les choses lui paraissent si évidentes et il les explique depuis si longtemps ! Certes il faudra du temps pour mettre au point ce logiciel idéal mais on y est déjà parvenu et on fera encore mieux certainement. Un autre atout de l’informatique en ce domaine me paraît extrêmement important. Quand l’enfant se trouve face à l’écran de l’ordinateur il a parfaitement conscience qu’il est face à une machine, et non face à un humain qui le juge, s’étonnant de sa lenteur, de ses erreurs répétées. Pour un élève déjà passablement dévalorisé à ses propres yeux et qui vous dira que, de toute façon, il ne comprend rien en ceci ou en cela, ce n’est pas un mince avantage.

DES AUDITEURS DISPONIBLES

Ce dernier point nous amène tout naturellement à réfléchir sur un autre aspect de la communication en éducation.

Pour faire passer un message chacun sait qu’il doit être clair. Mais il faut aussi que celui à qui il est destiné soit d’accord pour le recevoir. Vous aurez beau remplir l’entonnoir, si vous versez trop vite, le goulot de la bouteille refusera bientôt le passage de votre précieux liquide ! On sait depuis longtemps que la capacité des élèves est limitée. Pour un cours d’une heure l’attention totale se réduira peut-être à un quart d’heure pour certains. Et ce n’est pas tout ! Les psychologues expliquent que l’être humain pour survivre est obligé d’établir une sorte de liste de priorités. Croyons-nous vraiment que l’enfant qui vit des choses difficiles en dehors de sa classe, à la maison ou dans la cour de récréation est capable de faire abstraction de cela pour être tout à son travail scolaire ? Ce qui est toujours vrai pour les adultes incapables de porter en même temps de lourds soucis et de fonctionner convenablement dans le domaine professionnel, social ou familial, devrait nous inciter davantage à protéger nos enfants de tout ce qui peut les agresser au niveau psychologique, affectif ou moral. Françoise Dolto qui nous a quittés depuis quelques années nous apprend beaucoup en ce domaine. Elle a démontré les capacités intuitives de l’enfant qu’on était loin de soupçonner. Il est parfois des réalités trop difficiles à accepter à tel moment de notre vie et qu’on ne peut que refuser d’une manière ou d’une autre.

Il semble que nous touchions là à l’un des aspects essentiels de la communication. Le message aura beau être on ne peut plus clair, on aura beau nous le répéter autant de fois qu’on voudra, il ne passera pas parce qu’on ne sera pas prêt à le recevoir. « II est une chose absolument certaine : tout ce qui entre dans notre oreille n’atteint pas notre conscience, tout ce qui est en désaccord avec notre attitude est perdu, soit dans nos oreilles elles-mêmes, soit quelque part plus loin, mais c’est perdu » (Alexandre Soljenitsine, L’Archipel du Goulag).

DES CONSEQUENCES A TIRER

Traversant un jour la cour de récréation des tout-petits avec un confrère australien en visite à St-Pourçain j’eus la surprise de l’entendre dire : « The leaders of the future ! » (Les chefs de l’avenir !) Certes ! Pourtant, comme ils sont encore fragiles et dépendants, petites fleurs qui ne pourront s’épanouir qu’après de longues années si du moins on les aide pour cela. Quel potentiel à conserver, à protéger ! On se demande parfois si les adultes en ont bien conscience dans notre monde.

J’ai cru longtemps qu’on avait tort autrefois de tout surveiller : lectures, films, mauvaises compagnies… Peut être a-t-on fait des excès en ce domaine, mais ne sommes-nous pas partis très loin dans l’excès opposé ? Oh ! certes, on protège mieux que jamais le corps ! Que d’efforts on a faits pour faire avancer la médecine, la guérison ou la prévention de toute maladie. Rien à dire à cela, il faut même s’en réjouir. Oui, mais, pourquoi est-on si aveugle quand il s’agit de la protection morale de notre jeunesse ? Gardons-nous de retirer trop vite le tuteur qui soutient le jeune arbre si on veut qu’il grandisse bien et donne de bons fruits.

Frère Bernard Méha
Illustrations de M. Rosati

(Publié dans « Présence Mariste » n°215, avril 1998)


(1) Vie de J.-B. Marcellin CHAMPAGNAT - Edition du Bicentenaire, p. 294.

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