PM 278

Génie de l’utopie, sagesse de l’expérience

Manières d’innover - Pour qu’innovation rime avec Progrès - Les dix commandements (Publié dans « Présence Mariste » n°278, janvier 2014)

Manière d’innover

Michel Duchamp

  Depuis que le monde existe, l’innovation l’accompagne.
Depuis la première cellule, jusqu’au summum de l’intelligence humaine, l’innovation, c’est le principe même de la vie.
Ce pourrait être un des noms de Dieu…

Durant leur histoire, les hommes ont expliqué ces évolutions de multiples façons, une des dernières opposant farouchement lamarckiens et darwinistes. Pour les premiers, la fonction crée l’organe, et ce sont les plus forts ou les plus aptes qui gagnent. Pour les seconds, c’est le plus adaptable qui l’emporte : c’est la combinaison d’éléments inattendus qui produit des nouveautés spontanées.   Qu’en est-il donc de l’innovation dans nos sociétés modernes, et en ce qui nous concerne plus spécialement, dans nos écoles ? Nous sommes tous en même temps lamarckiens et darwinistes.   Quand nous disons : il faut innover, parce que les élèves ne sont plus les mêmes, ou parce que nous devons nous placer autrement dans l’échiquier des établissements scolaires du quartier, ou parce que de nouvelles dispositions nous l’imposent, et que, chef d’établissement en tête, nous nous mobilisons pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques pédagogiques, et que nous y réussissons très bien… alors, nous sommes des lamarckiens !

Mais quand c’est de la boîte à idées de la salle des profs ou du brainstorming d’un début de réunion, de la discussion autour d’un café ou de l’originalité d’un professeur farfelu que va jaillir un projet, avec toutes ses incertitudes, toutes ses peurs et tous ses risques d’échecs, alors là, nous sommes darwinistes !   Et il nous faut les deux : le dynamisme du darwiniste et la sagesse du lamarckien ! Cessons de promouvoir des équipes homogènes ! C’est de la diversité que sortiront le génie et la sagesse… Génie de l’utopie et sagesse de l’expérience… Le ferment du progrès.

Pour que l’innovation rime avec progrès

innovation

 Le terme d’innovation est très souvent lié au marché : elle est un moyen pour acquérir un avantage compétitif !
Ça ne saurait être le cas en matière d’éducation, où la qualité d’un établissement scolaire ne se joue pas uniquement sur l’excellence de ses résultats aux examens, mais sur sa capacité de développer la personne de chaque élève et de lui permettre de trouver sa meilleure place dans la société.
L’innovation dans nos écoles est dictée moins par le souci de s’adapter à des donnes nouvelles que de participer et d’apporter sa touche aux évolutions enthousiasmantes de notre civilisation…

Il s’agit d’accompagner cet élan, et non de suivre, en râlant et en regrettant le passé, les transformations économiques, sociales et humaines que nous ne ferions que supporter… Par notre action éducative, nous devons être les moteurs de notre avenir commun.

Trois préalables sont pour cela requis :

  • vivre avec son temps et dans son temps ;
  • être empreints des valeurs de nos projets éducatifs ;
  • être « prophète », c’est-à-dire avoir une vision d’un avenir basé sur ces valeurs…

C’est l’absence de cette vision qui laisse le champ libre à tout autre monde basé sur le profit…
Soyons donc responsables, même si nos visions d’avenir nous donnent l’impression d’être à contre-courant !

fleche verte, dessin

Les dix commandements

 

  • 1 - Ne jamais dire : « c’est impossible ! » ou : « on l’a déjà tenté, et ça n’a pas marché ! »
    Ne nous laissons pas blaser par notre expérience ! Et ne massacrons pas une idée nouvelle par ce « on l’a déjà fait et ça n’a pas marché ! »
  • 2 - Encourager l’originalité, le « culot »
    Attention, pas l’impolitesse ! Mais l’audace de sortir des sentiers battus…

  3 - Accepter l’inutile, l’intuitif, l’apparente perte de temps
Ça, c’est dur ! Dans un monde où tout va si vite !

  • 4 - Ne pas craindre de remettre en cause des certitudes
    Les exemples abondent dans l’histoire des sciences et des techniques… pensons seulement à celui de Galilée … Et citons Montaigne : Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ! Il suffit aussi de voir qu’est relatif ailleurs ce qui est considéré chez nous comme intouchable…
  • 5 - Il n’y a pas de propriétaire de l’innovation, pas de chasse gardée !
    Simple précaution technique… Les bonnes idées sont à tout le monde, et l’on aura tôt fait d’en décourager certaines, si l’on n’en attend que du côté opposé !
  • 6 - Accepter de renoncer à ses propres idées
    Toutes les idées ne peuvent pas se concrétiser… Encourager le foisonnement, mais bien être persuadé que tout ne pourra pas être retenu : ne pas considérer comme un échec personnel le rejet d’une proposition….
  • 7 - Être Prophète (on les a souvent tués !)
    Accepter qu’un projet innovant n’ait pas pour seul but de répondre à un problème posé. Mais qu’il soit basé sur une vision d’avenir… Les « signes des temps » ne manquent pas : voir notre dossier « l’Homme de demain ».
  • 8 - Prendre soin des projets innovants, et protéger leurs auteurs
    Un projet innovant dérange ! Lorsqu’il est adopté, tout mettre en œuvre pour le mettre hors de portée des menaces extérieures plus ou moins malveillantes.
  • 9 - Associer des gens différents (par exemple, les « créatifs », et les « techniciens »)
    Il est absolument nécessaire d’avoir dans les équipes des complémentarités. La menée d’un projet nécessite d’avoir les pieds sur terre… Et il est des créatifs à qui ça manque ! Bienheureux sont ceux qui sont les deux !
  • 10 - Le tout simple est souvent le mieux (par exemple : retrouver le plaisir)
    Un retour au projet d’un de nos établissements… Et aux grands philosophes : la primauté de la praxis chez Aristote, le « quand je danse, je danse » de Montaigne, le « règne des fins » de Kant, la primauté de l’œuvre sur le travail chez Hannah Arendt
  • Et le commandement bonus : veiller au sens
    Car c’est bien là que se trouve le danger de l’innovation : elle n’est synonyme de progrès que si elle s’inscrit dans un projet qui place le développement de l’homme au premier plan… Pour nous, c’est le projet éducatif…
Ils en ont parlé
Michel DUCHAMP

Ils en ont parlé

« L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ». Nelson Mandela

« L’avenir vaut mieux que tous les passés ». Teilhard de Chardin

« Penser c’est vivre. Vivre c’est penser. Pas de pensée sans prise de risque. Pas de pensée qui soit un affrontement personnel avec le monde. Penser c’est aussi frôler le précipice, assumer le désespoir et la solitude qui peuvent en résulter ».
Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt (2005).

« C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice, c’est-à-dire assurer »la continuité du monde« .  ». Hannah Arendt. Extrait de La Responsabilité.

"Les sentiers battus n’offrent guère de richesses, les autres en sont pleins ! " Jean Giono

"Allez à contre-courant, n’écoutez pas les voix qui sont nombreuses à faire la propagande de modèles de vies fondés sur l’arrogance et la violence, le succès à tout prix, l’apparence et les possessions matérielles. " Benoit XVI

« Suivre, accompagner le Christ, demeurer avec Lui exige de »sortir", sortir. Sortir de soi, de sa manière fatiguée et habituée de vivre la foi, de la tentation de s’enfermer dans ses propres schémas qui finissent par fermer l’horizon de l’action créative de Dieu. " Pape François

(Publié dans « Présence Mariste » n°278, janvier 2014)

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