Notre pays, la Grèce, avec toutes ses îles, est grande comme le quart de la France. Elle est « cette terre où nous sommes nés », comme disait Thierry Maulnier. Elle fut aussi le berceau des grandes civilisations méditerranéennes, le pays aux mille légendes et aux œuvres d’art qui remontent jusqu’au troisième millénaire avant J.C. Ce fut aussi une terre biblique qui a accueilli des Apôtres venus annoncer la Parole du Christ, riche en souvenirs du christianisme. Aujourd’hui la Grèce est membre de l’Union européenne. Elle reste terre de mission comme tout pays d’Europe où le recul des valeurs évangéliques se fait de plus en plus sentir.
Notre pays a un niveau de vie en hausse, et l’instruction se développe dans un climat de crise économique et politique. Les jeunes, comme dans d’autres pays occidentaux, sont nés dans cette civilisation où dominent la course aux biens matériels, à l’argent. Beaucoup d’entre eux s’interrogent sur leur avenir. L’environnement urbain d’Athènes est fait de contraintes oppressives et de tentations multiples.
C’est par ce contexte, ainsi que par le contexte ecclésial que nous sommes marqués. Nous travaillons dans un milieu de culture et de formation orthodoxes, où la tradition et l’histoire, sont fortement enracinées dans l’esprit des gens. La foi populaire est imprégnée par l’orthodoxie. L’Eglise orthodoxe est majoritaire, et en Grèce, cette Eglise est autocéphale depuis 1850.
il y a 45 000 fidèles de nationalité grecque appartenant à l’Eglise catholique. Cette Eglise vit et se manifeste malgré sa petitesse et sa fragilité. Cela nous amène, dans notre action apostolique en milieu orthodoxe, à nous recentrer sur l’essentiel. Nous choisissons de transmettre les valeurs de l’Evangile dans un esprit de fraternité, de respect et de compréhension mutuelle.
Comme toutes les autres provinces de notre Institut, la Grèce mariste a son histoire. Nous existons depuis 1907, année de l’arrivée des quatre premiers Frères français à Athènes : FF. Marie-Brunon Baud, François-Laurent Genêt, Marie-Constantin Bacaud et Joseph-Eusèbe Gros. Ils viennent du secteur de Constantinople où de nombreux frères s’étaient réfugiés après 1903.
En 1906, Mgr Délenda, archevêque catholique d’Athènes, confie aux Frères une école diocésaine qui devient lycée Léonin Saint-Denis, en l’honneur de son fondateur et bienfaiteur, le pape Léon XIII.
En 1907, les Frères s’installent comme auxiliaires des Pères Lazaristes ; deux ans plus tard la direction leur est confiée et l’école atteint vite le chiffre de 800 élèves. L’année 1997 est donc, comme il se doit, marquée par la célébration du 90e anniversaire de l’arrivée des Frères. En 1961, le nombre croissant des élèves obligent les Frères à rechercher un autre lieu d’implantation, Néa Smyrni, à 5 kilomètres du centre. Il faut compter aujourd’hui 1.940 élèves.
En 1924, un deuxième établissement, le lycée Léonin Sacré Cœur, est inauguré. C’est l’ouverture de section française, commerciale, école primaire, secondaire… qui aboutit aujourd’hui au total de 1.270 élèves.
Notre Dame d’Héraclée, notre « La Valla », parce que cette maison accueillait les jeunes en formation venant de l’Europe centrale et parce que se sont réfugiés là des Frères chassés de Turquie. Il ne faut pas oublier l’école Saint-André (Patras) et l’école Saint-Louis de France (Mytilène) qui ont fonctionné quelques années.
Depuis 1984, nos communautés de Grèce sont rattachées à la province de Notre-Dame de l’Hermitage, province-mère de l’Institut. Nous avons une autonomie de gestion en fonction des lois de notre pays sur l’éducation. Il y a donc deux communautés vivant dans les deux ensembles scolaires. La plupart des Frères assurent un travail d’encadrement administratif, éducatif, catéchique. Nous avons conscience de notre petitesse dans l’Eglise catholique et dans l’Institut. Nous restons héritiers d’une tradition mariste et nous croyons qu’elle a quelque chose à dire aujourd’hui, même en Grèce, où notre mission s’intègre dans une situation spécifique et privilégiée.
Ce qui fait l’originalité de la mission mariste en Grèce c’est la vocation culturelle de nos établissements. Il s’agit bien de transmettre cette culture franco-hellénique qui donne à tous nos élèves la chance de connaître la civilisation de nos deux pays par l’enseignement de leurs langues et de leurs littératures réciproques. Cela va jusqu’à la délivrance de certificats et diplômes grecs officiels ; sans oublier des diplômes français attribués par l’Ambassade de France, la Sorbonne, le ministère français de l’Education nationale.
Tout est centré sur l’apprentissage de la langue française, avec possibilités de séjours culturels en France pour les jeunes et les enseignants. On se souvient avec nostalgie du passage de nombreux Frères français ainsi que de laïcs, venus apporter leur concours. Aujourd’hui l’Europe permet d’ouvrir des horizons culturels nouveaux, avec l’Allemagne, la Grande Bretagne. Ainsi, l’école mariste véhicule, à travers les langues étrangères, la culture occidentale, reflet d’un humanisme qui ne nous est pas étranger. Nous savons que « la culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme ». Elle permet donc d’établir des liens entre les différentes civilisations et par voie de conséquence, de devenir « un moyen de communion entre les hommes. » (Règle de vie des Frères Art, 87).
Notre vocation éducative est notre engagement essentiel. Au-delà de la transmission des savoirs à travers l’enseignement, nous voulons éduquer, c’est à dire transmettre des valeurs. Nous veillons pour cela à la qualité de notre témoignage. Dans les années 1980, nous avons vu de nombreux parents se mobiliser pour soutenir la cause de la liberté éducative.
La communauté des Frères reste encore aujourd’hui le noyau initial, « le cœur de la communauté éducative ». Mais avec l’ensemble des enseignants et éducateurs nous formons la communauté éducative pour mieux viser « la formation intégrale de l’homme ». C’est ainsi que toutes les structures et propositions sont mises à la disposition de tous pour travailler le plus possible ensemble. Ce sont des rencontres hebdomadaires, des carrefours de formation et de recherches, des congrès pour approfondir le sens de l’éducation chrétienne et la spiritualité mariste.
Aujourd’hui le travail se fait de plus en plus étroit avec les partenaires laïcs. Avec eux nous préparons l’avenir, et déjà les uns et les autres acceptent des postes-clés.
Nous nous efforçons aussi de mettre les jeunes dans le coup et d’actualiser pour eux tout ce qui est formation à la responsabilité,
- soit à travers la formation des délégués de classes,
- soit à travers des invitations
- et des engagements dans des actions humanitaires et caritatives.
Notre mission éducative touche également les parents. A cette fin, nous avons créé « l’école des parents » . Cette école contribue à la formation des parents mais aussi elle renforce le sens familial, l’unité de la famille. Il est sûr que le dialogue et les échanges permanents entre l’école et la famille favorisent le climat d’ouverture et l’entrée dans l’esprit mariste. Chacun à sa place essaie de vivre la présence à l’autre et le témoignage, complétant ces attitudes éducatives par l’accueil charitable et la prière.
Nous sommes convaincus que la véritable éducation aboutit au Christ qui vient révéler l’amour de Dieu Père pour l’homme. En Grèce, nos écoles veulent être des lieux d’évangélisation. Nous croyons que par
- le témoignage des enseignants,
- la célébration de la Foi,
- la pratique des œuvres de charité et de solidarité,
le Christ se fait davantage présent dans le cœur des jeunes, dans les mentalités et dans les attitudes collectives.
Avec les jeunes il nous faut aller aujourd’hui au cœur de la foi. Il s’agit pour nous de faire exister le plus possible un climat chrétien dans l’école.
Nous profitons de tout (des événements aux dates du calendrier religieux officiel) pour aider les personnes à grandir dans la foi. Cela passe par
- la prière du matin, par
- la catéchèse,
- la pratique des sacrements,
- la célébration des grandes fêtes de Noël et Pâques.
Le mois de mai, mois de Marie, est un temps fort privilégié pour faire prier ensemble chrétiens orthodoxes et catholiques, autour de celle qui est le « chemin pour aller à Jésus ».
Nous vivons un temps où les jeunes restent très sensibles à l’action apostolique et au témoignage ; nous essayons de faire en sorte que des enseignants, des parents vivent ensemble avec les jeunes ces engagements pour plus d’amour et de justice auprès des plus pauvres de notre société.
Notre présence en Grèce vise l’accomplissement d’un service social. Nos écoles sont tout d’abord des lieux de transmission de savoir, et c’est leur première vocation. Aider les jeunes à préparer leur avenir d’homme et de femme, leur avenir professionnel.
En elle-même, l’école est un lieu de relations sociales toujours à promouvoir, toujours à dynamiser… Nous veillons à accueillir gratuitement des élèves moins fortunés. Parfois, les infrastructures (locaux, salle de gym) sont disponibles pour d’autres associations.
Il faut noter toute une ouverture à des groupes caritatifs. Ici on aide les Sœurs de Mère Térésa de Calcutta à nourrir 100 personnes par jour ; là, on aidera Frère Matthieu (de la communauté mariste) à accueillir des enfants de la rue, des drogués, des immigrés…
Des Frères participent avec des jeunes au mouvement Foi et Lumière (handicapés mentaux et physiques). On organise des visites aux « oubliés » de la société ; on crée des « groupes de charité » pour aller vers des familles ou des jeunes délaissés, marginalisés…
On participe à la « Croisade d’amour » à l’occasion de Noël et de Pâques pour se faire plus proches des pauvres et des nécessiteux. Dans toutes ces activités s’impliquent des professeurs, des parents, des jeunes, des Frères ; c’est notre manière de traduire, dans des actes, les valeurs évangéliques que nous professons.
Les écoles maristes de Grèce sont fréquentées par des professeurs, des parents, des élèves orthodoxes et catholiques ; c’est dire que nos écoles assurent une éducation œcuménique qui consiste dans le fait de vivre ensemble et de partager « entre les personnes de confessions différentes ». (Règles de vie des Frères 87).
Nous croyons que l’unité est l’affaire de tous, puisque c’est le désir du Christ que « tous soient un » dans l’unité de la foi et de la charité.
Notre souci de répandre l’esprit œcuménique trouve son application dans le comportement, la réflexion, la prière, l’entraide, les relations nouées au fil des jours. « Pour s’unir, il faut d’abord aimer, pour aimer il faut connaître, pour connaître il faut apprendre et l’on a beaucoup à apprendre de l’autre », disait un professeur. Etre chrétien signifie aujourd’hui être artisan de réconciliation, de paix, de communion et de miséricorde.
Concrètement voilà ce qui nous guide dans cette mission particulière. Nous veillons à rester ouverts à toutes les familles. Respectueux de l’identité religieuse de nos élèves, nous ne cessons pourtant de les engager à la foi, à la prière, aux valeurs humanistes et spirituelles qui rejoignent les deux confessions. Nous restons toujours respectueux de la liberté religieuse des jeunes. Unis sur l’essentiel de la foi, nous respectons les valeurs spirituelles et les formes traditionnelles d’expression de vie chrétienne dans la célébration eucharistique des deux rites. Cela n’exclut pas la possibilité de se réunir pour prier ensemble, surtout lorsqu’il s’agit de vénérer la Théotokos (Marie, Mère de Dieu).
Nous nous efforçons de cultiver les bonnes relations entre les deux confessions à travers les activités culturelles, sportives. Ensemble nous élaborons des projets d’aide humanitaires. Avec le clergé orthodoxe et en particulier nos aumôniers nous cherchons à susciter des liens de fraternité et de collaboration. Notre Congrès mariste de 1995 a mis en valeur des priorités que nous mettons en œuvre pour aboutir un jour à une synthèse dans la vraie foi et dans l’amour pour les nouvelles générations qui espèrent. « C’est Dieu qui donne la croissance ». (1 Cor 3 (7).
Une mission à maintenir, une vocation pour l’avenir ! Il y a là matière à réfléchir surtout sur l’héritage mariste à préserver et une identité institutionnelle à sauvegarder. Il faut vouloir continuer la mission que l’Eglise nous confie. Dans notre recherche nous avons élaboré quelques axes qui donnent des indications sur le possible demain.
Nous nous situons résolument dans une vision de foi et d’espérance. Pour nous, rien n’est impossible à Dieu et à Marie « qui ont tout fait chez nous », comme le disait Marcellin Champagnat. Préparer l’avenir, c’est continuer à prier avec confiance et insistance et nous remettre entre les mains du Seigneur. Nous soutenons très activement l’équipe des vocations animée par trois de nos Frères.
Nous continuons à réfléchir sur le mode de présence dans nos écoles pour demain ; nous prolongeons aussi toute la réflexion engagée déjà pour élaborer et rédiger un projet éducatif. Nous croyons enfin qu’il nous faut continuer à entraîner nos collaborateurs laïcs à notre suite, ou plus justement à la suite de Marcellin Champagnat. Pouvoir vivre avec eux de façon plus grande encore la « mission partagée ».
Un des enjeux majeurs reste aussi la formation des cadres avec des appels plus particuliers pour les uns ou les autres, concernant les directions, la pastorale, la gestion des établissements. Déjà, nous constatons que dans le présent nous avons, ici ou là, fait des adaptations et des ouvertures. Mais l’imagination doit être plus audacieuse encore, si nous voulons répondre à l’invitation que nous laissait notre Supérieur général, Frère Benito. « Je vous confie à Marie pour qu’elle nous aide à regarder l’avenir avec foi et espérance créative, et je vous invite à prier pour que nous cherchions en tout la volonté de Dieu. »
Frère Pierre FOSCOLOS
(Publié dans « Présence Mariste » n°214, janvier 1998)