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Les Frères Maristes, la jeunesse et la fête

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Ce temps de la jeunesse est celui des passions, qui inquiètent parents et pasteurs. C’est celui des bals, des bagarres, des rencontres amoureuses…(Présence Mariste n°292, juin 2017)

F. André Lanfrey

La Valla, où M. Champagnat fonde les Frères Maristes en 1817, est une grosse commune rurale où les gens sont plutôt bons chrétiens. Vicaire, il a bien réussi auprès des paroissiens qui le réclameront comme curé en 1824. Et ils apprécieront l’école des Frères. Pourtant, les vocations de Frères y ont été rares, même au début, comme si la jeunesse était demeurée sur la réserve.

La notion de jeunesse au temps de Champagnat

La priorité de Champagnat, c’est l’enfance, qu’il catéchise soigneusement avant la première communion, en principe à 12 ans accomplis. Mais ensuite, le « jeune homme » doit, par le travail agricole, l’apprentissage ou des études, se préparer à entrer dans le monde des adultes. En se mariant, il « enterre sa vie de garçon » et entre de plein pied dans la société des adultes.

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Ce temps de la jeunesse est celui des passions, qui inquiètent parents et pasteurs. C’est celui des bals, des bagarres, des rencontres amoureuses… Dans chaque village les jeunes constituent un groupe social turbulent mais toléré : « Il faut que jeunesse se passe ». Il ne semble pas qu’à La Valla la jeunesse soit organisée en « abbaye », gouvernée par un « abbé » et une « abbesse » qui organisent les fêtes. Mais une chose est sûre : elle participe activement aux « vogues » ou « fêtes baladoires » qui ont lieu un peu à l’extérieur du bourg devant la chapelle de N. D. de Pitié.

Amalgame entre vogue et fête baladoire

Dans chaque paroisse, la vogue est la fête patronale. Mais, la soirée est consacrée aux réjouissances profanes : on mange, on boit, fait du commerce, et évidemment on danse. La fête baladoire est une réjouissance d’origine profane, souvent en lien avec les cabarets, où se mêlent beuveries, danses entre garçons et filles, rixes, cris séditieux… En principe elle est interdite par l’État, et les cabarets doivent fermer à 8 h en hiver et 10 h en été, sous peine d’amende. Mais au fond, vogue et fête baladoire se ressemblent beaucoup.

Comme la Révolution supprime les fêtes religieuses tout en organisant de nombreuses fêtes civiques, la vogue et la fête baladoire constituent un moyen de défense des communautés locales contre le pouvoir central. Par exemple, lorsqu’en 1794 des maçons viennent à La Valla descendre les cloches de l’église, on les fait boire et danser au cabaret avant de les escorter en musique, le lendemain, vers le village suivant. Et La Valla garde ses cloches. Au début de la Restauration les gens de La Valla organiseront une fête baladoire contre le curé Rebod trop porté à régenter la commune.

Champagnat contre les bals clandestins
La Grand Rue à La Valla
Photo fms

Aucun texte ne signale une opposition de M. Champagnat à la vogue proprement dite. En revanche son biographe insiste sur son opposition aux bals clandestins des nombreux hameaux. Déjà, séminariste en vacances à Marlhes, vers 1815, il surprend une de ces fêtes : « …je vais voir si vous savez aussi bien votre catéchisme que vous savez danser ». Une fois devenu vicaire à La Valla, il s’arrange pour aller faire le catéchisme dans les hameaux le jour où un bal y est prévu. Parfois, il part surprendre les danseurs et tout le monde se sauve ou se cache, parce que, cette réunion étant illégale et un peu compromettante, ils redoutent d’être reconnus.

Pour Champagnat, ces bals clandestins sont la conséquence d’un christianisme superficiel et de la négligence des autorités civiles, en particulier des parents, alors qu’il veut reconstituer une société de bons chrétiens (catéchisme) et de vertueux citoyens (mœurs austères). Et la population adulte, d’ailleurs éprise d’ordre, paraît avoir admis qu’il ne faisait que son devoir. Mais qu’en a pensé la jeunesse ? Son biographe nous rapporte seulement les paroles de Jean-Claude Audras (F. Laurent) en 1817, qui, face à la proposition de devenir Frère, objecte : « On se moquera de moi ». Et en effet, devenir Frère, c’est enterrer sa vie de garçon de manière un peu bizarre. Néanmoins, Champagnat aura fort à faire pour former ses Frères à la gravité religieuse. En 1819, il les invite à prendre leurs récréations de manière moins bruyante. Plus tard, à L’Hermitage, il renverra des jeunes Frères qui ont organisé des feux à l’occasion de la Saint Jean d’été.

Les fêtes baladoires dans les paroisses

Les Annales des écoles rédigées par le F. Avit vers 1880-90 évoquent plusieurs dizaines de cas de fêtes baladoires et vogues. Quand la population est bonne catholique, comme à Berrias (Ardèche), le jugement de l’auteur est indulgent : « Il y a une fête baladoire et quelques danses dans les hameaux, mais sans grands désordres ». C’est mieux au Cheylard où « les danses, les fêtes baladoires sont encore inconnues, ce qui est rare dans le Midi ». Au contraire, « la population de la ville ouvrière de Blanzy n’a du zèle et de l’énergie que pour les fêtes baladoires et républicaines ».

Procession à La Valla
Photo fms

Cependant, à Digoin où il est directeur de pensionnat vers 1855, le F. Avit emmène ses élèves « sur les chevaux de bois, le 3e jour de la vogue, alors qu’il ne restait personne ». Comme le curé proteste, il lui rétorque que le vicaire y a emmené les filles de la congrégation mariale et que, vêtues de vastes crinolines, elles risquaient de montrer leurs jambes. Le vieux curé en est abasourdi : « Si les prêtres et les religieux font ces choses-là, il ne faut pas s’étonner que la Révolution vienne ». C’est un bon exemple de la mentalité cléricale ancienne associant fête et révolution, mais aussi de l’attitude plus souple du jeune clergé et des pédagogues. Saint-Paul-en-Jarez, tout près de L’Hermitage, est un autre cas intéressant : c’est le maire qui, en 1867, proteste auprès des supérieurs contre la suppression de la fête de fin d’année de l’école qui aurait dissuadé la population de se rendre à la vogue de Rive-de-Gier, la ville toute proche. C’est que la fête pose aux autorités civiles elles-mêmes des problèmes d’ordre public. Vers 1880, le F. Avit redoutera moins les débordements moraux que la politisation et la laïcisation de la fête : il abhorre le 14 juillet.

Champagnat, comme une grande partie du clergé de son temps, a été très réservé envers la fête populaire, et particulièrement la danse. Cette attitude a dû affecter sa relation avec la jeunesse. Mais dans quelle mesure ? En tout cas, l’Église du XIXe siècle, longtemps dominée par une théologie rigoriste, a eu un problème avec la fête populaire tandis que la société ne voyait pas de contradiction entre religion et fête, même profane.

F. André Lanfrey
(Publié dans « Présence Mariste » n°292, juin 2017)

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