La seconde partie du XIXe siècle connaît des bouleversements profonds. En politique la révolution de février 1848, qui a renversé Louis-Philippe, permet l’émergence de grands courants socio-politiques : la question ouvrière, les socialismes, la république…
S’installe finalement une république conservatrice et démocratique vite balayée par le coup d’État de Louis-Napoléon, le 2 décembre 1851, qui instaure un régime autoritaire. Au niveau de l’Europe, c’est le temps des nationalités, particulièrement en Italie, où le Pape Pie IX se cabre contre l’unité italienne et, d’une manière générale, contre le monde moderne. De cet enchevêtrement d’événements va émerger une France radicalisée en deux blocs, l’un conservateur dans lequel l’Église fait figure de force majeure ; l’autre républicain et anticlérical, bien décidé à triompher.
Reconnaissance légale de l’Institut en 1851
Dans un premier temps la loi Falloux (1850), qui brise le monopole universitaire de l’enseignement secondaire, est favorable à l’Église et aux congrégations. Quant aux Frères Maristes, en 1851, un décret leur reconnaît le statut d’association d’utilité publique. Leur croissance est stimulée par une forte demande de fondations d’écoles. Vers 1860, il y a environ 1 700 Frères et 300 écoles.
Mais le régime impérial, inquiet de la montée des congrégations, s’emploie à freiner leur développement. D’ailleurs, les écoles normales, créées à partir de 1833, fournissent désormais en grand nombre des maîtres laïques compétents et jugés potentiellement plus dévoués à l’État que les congréganistes.
C’est aussi le temps de la révolution industrielle multipliant chemins de fer, mines, usines… et offrant de très nombreux emplois. Aussi, le recrutement des Frères devient plus difficile, tandis que les idées de progrès et d’ascension sociale pénètrent profondément les mentalités. Bientôt, dans ses Annales, le très conservateur F. Avit constatera qu’en bien des lieux, si l’enseignement profane des frères est toujours apprécié, leur enseignement religieux est « atténué » ou même « détruit » dans les familles. Malgré ces handicaps, les Frères Maristes continuent à croître : en 1880 l’institut a près de 3 000 Frères et à peu près 500 établissements.
Après 1880, l’État, aux mains des Républicains, devient franchement hostile. L’instauration de l’école laïque, gratuite et obligatoire en 1881-82, interdit le catéchisme à l’école et impose que chaque instituteur soit nanti d’un brevet. La loi Goblet en 1886 interdit l’enseignement public aux congréganistes.
En 1889, la loi militaire astreint séminaristes et Frères au service militaire. Des comités catholiques créent donc un peu partout des « écoles libres » qui devront lutter contre l’école laïque soutenue par l’administration. Souvent parcimonieux, ils exercent sur les Frères une tutelle étroite. Fréquemment le clergé ne trouve pas les Frères assez coopératifs pour les œuvres postscolaires.
Création des juvénats pour développer le recrutement
Face à ces défis, la congrégation ne reste pas inactive. Pour s’assurer un recrutement abondant, à partir de 1876 elle établit des « juvénats » ou « petits noviciats » recevant les aspirants au sortir de la première communion. Ils y sont solidement instruits en attendant l’âge d’entrée au noviciat. Des scolasticats sont créés pour permettre l’acquisition des diplômes. Et, comme l’enseignement tend à devenir une carrière plus qu’une vocation, les supérieurs renforcent la formation religieuse des Frères : noviciat plus long, grands exercices de St Ignace…
La grande nouveauté, c’est l’expansion internationale appelée un peu rapidement « mission ». Dès 1836, la congrégation avait participé à la mission mariste en Océanie, puis avait développé des œuvres à proximité de la France : au Royaume Uni, en Belgique. En 1867 elle n’avait pu refuser une fondation en Afrique du sud. À partir de 1884, le F. Théophane organise l’expansion en Europe (Espagne…), en Amérique du Nord (Canada, USA) et du sud (Mexique, Colombie, Brésil), au Moyen-Orient (Constantinople, Syrie), en Chine…
À mesure que la menace anti congréganiste se précise, le nombre des envois en mission augmente. En 1902, l’Institut aura 1 655 Frères à l’étranger, dont 686 Français, et 237 établissements. En France le nombre des Frères est alors un peu supérieur à 4 000 répartis en près de 600 établissements de toutes tailles.
Rester en France ou partir à l’étranger
En 1901, la loi Waldeck-Rousseau, qui a accordé le droit d’association à tous sauf aux associations religieuses, constitue une menace précise. Aussi, rien qu’en 1901-1902, 220 Frères partent à l’étranger. Et lorsque le gouvernement Combes, en 1903, dissout toutes les congrégations enseignantes, les Frères Maristes disposent d’un réseau international capable d’absorber un exil massif.
Les années 1903-1906 seront cependant assez confuses : d’abord les Frères sont divisés entre partisans de l’exil ou du maintien des écoles. Évêques et notables catholiques veulent sacrifier les congrégations au profit d’un enseignement catholique diocésain. Mais les supérieurs considèrent que l’essentiel est de sauver la vie religieuse par l’exil.
De nombreux Frères « sécularisés »
Finalement, en 1906 la situation se stabilise. Près d’un millier de Frères, toujours secrètement en lien avec la congrégation, restent dans les écoles en habit civil. Les Frères âgés occupent les anciennes maisons provinciales, empêchant leur vente par les liquidateurs. Malgré des poursuites acharnées l’administration n’a pu empêcher le maintien d’une vie religieuse semi-clandestine. Les évêques n’ont pu dissoudre l’identité congréganiste des sécularisés. Ceux-ci sont d’ailleurs précieux comme cadres du nouvel enseignement catholique constitué massivement de laïcs plus ou moins expérimentés.
Cette sécularisation brutale des congrégations, qui sera suivie en 1905 de la séparation de l’Église et de l’État, pose néanmoins la question d’une sécularisation autrement plus profonde et globale : celle des sociétés. Première forme de militance laïque au lendemain de la Révolution, les congrégations enseignantes doivent constater que leur action éducative a débouché sur l’hostilité de l’État, la relative indifférence de la société, et un faible soutien d’une Église très cléricale qui recherche une militance laïque davantage sous sa tutelle. Il faudra peu à peu se rendre à l’évidence : la chrétienté s’effiloche et la sécularisation devient un phénomène socio-culturel global nécessitant de nouvelles approches pastorales.