Cela paraît une évidence : la mission consiste à transmettre. Reste à savoir : qui transmet, qu’est-ce qui est transmis, qui reçoit, quel est l’objet de la transmission, et enfin à qui l’on transmet. À relire les évangiles, on voit combien la mission est au centre de l’enseignement de Jésus, particulièrement l’évangile de Jean qui utilise une bonne cinquantaine de fois le verbe « envoyer » à propos de Jésus. Jésus est « l’Envoyé de Dieu ». Toute la chaîne de la transmission s’y trouve développée : le Père envoie le Fils, le Père et le Fils envoient l’Esprit ; le Fils et l’Esprit envoient les disciples. Et cela se fait en plusieurs étapes. Il nous est dit : quel est son contenu ; à qui il est confié ; à qui faut-il le transmettre ?
La chaîne de transmission
Jésus lui-même souligne que c’est le Père qui l’envoie. Dans une confrontation avec certains qui prétendent avoir Dieu pour père mais refusent de le reconnaître, lui Jésus, il leur dit : « Si Dieu était votre père, vous m’auriez aimé, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens. Je ne suis pas venu de mon propre chef ; c’est Lui qui m’a envoyé. » (Jn 8, 42). Et le Père est son premier témoin : son témoignage « ce sont les œuvres que le Père m’a donné à accomplir ; je les fais et ce sont elles qui portent à mon sujet témoignage que le Père m’a envoyé. Le Père qui m’a envoyé a lui-même porté témoignage à mon sujet. » (Jn 5, 36-37).
Il faut dire aussi que si Jésus se présente comme l’envoyé du Père, d’autres, parmi les hommes, en ont témoigné. « Il y eut un homme, envoyé de Dieu ; son nom était Jean » (Jn1, 6). C’est Jean le baptiste qui dira : « Moi, je ne suis pas le Christ, mais je suis celui qui a été envoyé devant lui. » (Jn 3, 28). Il est « envoyé de Dieu, envoyé baptiser dans l’eau en vue de sa manifestation à Israël. » (Jn 1, 31). Ou encore la Samaritaine « Seigneur, je vois que tu es un prophète » (Jn 4, 19). Et bien sûr, ses disciples « Ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé. » (Jn 17, 8).
Mais non seulement. Lorsque l’aveugle de naissance demande à Jésus de le guérir, celui-ci l’envoie se laver à la piscine de Siloé. Or « Siloé » signifie « Envoyé ». C’est assez dire que, dans cet envoi, Jésus authentifie en quelque sorte sa mission. Il est lui-même l’« Envoyé » qui donne la lumière. (Jn 9).
Jésus, le Fils, ne sera pas pour toujours présent, physiquement, à ses disciples. Mais il les rassure. Conjointement avec le Père, Il leur enverra l’Esprit Saint. « Maintenant je vais à Celui qui m’a envoyé… c’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, l’Esprit saint ne viendra pas à vous ; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16, 7) L’Esprit Saint sera, effectivement, le lien entre Jésus et ses disciples : « Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera. Tout ce que possède mon Père est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi. » (Jn 16, 14-15).
Les disciples sont les héritiers du message évangélique. « Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde » (Jn 17, 18). Et lors de sa première apparition à ses disciples, Jésus ressuscité confirme sa promesse et l’envoi en mission : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie. » (Jn 20, 21).
L’objet de la transmission
D’emblée, Jésus nous informe sur le contenu de sa mission. Il est venu nous révéler le Père : « Celui qui m’a vu a vu le Père » dit-il à Philippe. (Jn14, 9). Reconnaître le Fils, c’est reconnaître le Père : « Celui qui n’honore pas le Fils n’honore pas non plus le Père qui l’a envoyé » (Jn5, 23). Sa mission n’est autre que de nous révéler ce que veut le Père car « Qui parle de lui-même cherche sa propre gloire ; seul celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est véridique. » (Jn7, 18). Le Fils ne fait donc que transmettre la volonté du Père : « Celui qui m’a envoyé est véridique et ce que j’ai entendu auprès de lui, c’est cela que je déclare au monde. » (Jn 8, 26). Le Fils ne fait autre chose que la volonté du Père : « Je suis descendu du ciel non pas pour faire ma propre volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. » (Jn 6, 38).
Or ce que le Père veut c’est que tous les hommes soient sauvés : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17). C’est donc pour cela qu’il envoie Jésus, le Sauveur « venu non pour les justes mais pour les pécheurs » (Mc 2, 27). Conformément à la volonté du Père, Jésus est venu apporter le salut à tous, il est venu sauver le monde, dans un acte d’amour : « Je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde. » (Jn 12, 47). Les premiers bénéficiaires semblent en être les Samaritains : « Nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur. » (Jn 4, 42).
Ad Gentes
De ce florilège de citations évangéliques, qu’on serait bien tenté de multiplier, on conclut aisément que la mission de l’Église s’ancre profondément dans la mission confiée par Dieu à son Fils, mission transmise ensuite aux disciples dans le souffle de l’Esprit répandu sur eux à la Pentecôte.
L’Église reprend le « témoin », comme on dit dans les courses de relais, une image chère à saint Paul, en s’inscrivant dans cette transmission. « Envoyée par Dieu aux païens ; l’Église est tendue de tout son effort vers la prédication de l’Evangile à tous les hommes. » Tels sont les premiers mots du préambule du décret sur l’activité missionnaire de l’Église, décret Ad Gentes, « Aux païens », du Concile Vatican II.
L’Église est, par nature, nécessairement missionnaire « tirant son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit. » De ce fait, chaque chrétien se trouve engagé dans la mission. Nul ne peut s’y soustraire, car ce serait ignorer que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » C’est ainsi que s’exprime saint Paul dans sa première lettre à son disciple Timothée, se présentant lui-même comme « héraut et apôtre ». (2,7).
Les disciples de Marcellin Champagnat, les Frères Maristes, l’ont parfaitement compris, en lançant leurs missions Ad Gentes, à Madagascar et ailleurs. Ce faisant, ils veulent se conformer aussi au désir de leur saint fondateur pour qui « tous les diocèses du monde entraient dans ses vues. »
Bernard FAURIE
Paru dans Présence Mariste N° 268, Juillet 2011