Après plusieurs tentatives, dont celle de prêtres envoyés par Saint Vincent de Paul entre 1648 et 1671, l’évangélisation de Madagascar commence au début du XIXe siècle. Elle se fait parallèlement à l’ouverture de la Grande Ile au monde extérieur et à l’extension du royaume merina qui couvre les deux tiers du pays lorsque la France impose sa colonisation en 1896.

Dissidence « non conformiste » de l’Église anglicane, la London Missionary Society s’implante à Tananarive en 1818, avec l’accord de Radama 1er (1810-1828).
En dépit des persécutions imposées ensuite par Ranavalona 1re (1828-1861), elle fait œuvre durable, créant les premières écoles, formant des laïcs et menant à bien la traduction malgache de la Bible dès 1835. Lorsque Radama II (1861-1863) autorise à nouveau le christianisme, les Jésuites déjà présents clandestinement fondent l’Église catholique dans la plupart des régions du pays.

La conversion opportuniste de Ranavalona II, en 1869, donne une ampleur nouvelle à l’évangélisation. Le protestantisme devient quasiment religion d’État, et le christianisme partie intégrante de l’identité malgache. Et la LMS est alors renforcée par les anglicans, les réformés, les luthériens et les quakers. Côté catholique, les Jésuites sont rejoints par les Frères des Écoles Chrétiennes, les Lazaristes, les Spiritains, les Salettins, et, bien sûr, les Frères Maristes en 1911 ; les congrégations féminines, elles, sont représentées par les sœurs de Cluny, puis les Franciscaines Missionnaires de Marie, les Filles de la Charité, etc.
La brève période coloniale (1896-1960) voit le catholicisme se développer rapidement, surtout sur les hautes terres centrales.
Les relations avec le pouvoir sont ambigües : si nombre d’administrateurs coloniaux combattent l’Église au nom de la laïcité, le catholicisme passe pour plus compatible avec l’influence française, à l’inverse du protestantisme anglo-saxon. Par contre, le jeune clergé autochtone, pasteurs et prêtres confondus, éveille le sentiment national, ce que les évêques ont l’intelligence de comprendre et d’accompagner, même si certains missionnaires restent attachés à l’idéologie coloniale.

L’indépendance retrouvée, les Églises chrétiennes s’intègrent dans une société où l’expression du sentiment religieux est acceptée et reconnue par tous, aux antipodes de la frileuse et ignorante laïcité à la française. Aujourd’hui, environ la moitié des 20 millions de Malgaches est chrétienne : 25% de catholiques, 20% répartis entre différentes obédiences protestantes (Réformés, Luthériens, Anglicans et, récemment, « sectes » nombreuses qui témoignent de la décomposition sociale en cours). L’Islam, pour sa part, réunit autour de 5% de la population totale. Quant à la moitié des Malgaches qui, surtout sur les côtes, pratiquent la religion traditionnelle, ils invoquent un dieu créateur, Zanahary, et tient les ancêtres, razana, comme intermédiaires entre le créateur et les hommes.
Pendant les années 1970, l’œcuménisme postconciliaire pousse au rapprochement : en 1980, est officialisé le Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar, plus connu par son sigle malgache FFKM (Fiombonan’ny Fiangonana kristianina eto Madagasikara). Jusque là, seule l’Église catholique s’était prononcée sur les problèmes nationaux, sauf en 1972 et en 1975. Désormais, les quatre Églises (catholique, réformée, luthérienne et anglicane) unissent leurs voix, dénonçant la dérive idéologique et les abus du régime socialiste de Ratsiraka (1975-1991), même si les attaques les plus vives émanent toujours de la seule conférence épiscopale catholique.

Après la réélection contestée de Ratsiraka en 1989, suivie de la visite de Jean-Paul II, la contestation enfle. Soutenue par les Églises, la population finit par obtenir le départ de Ratsiraka. Mais le FFKM entre dans les structures de la transition politique, ce que refusent les catholiques. L’échec de la IIIe République du président Zafy (1992-1996) et le retour de Ratsiraka entacheront la crédibilité du FFKM pour de longues années, l’Église catholique continuant à défendre la démocratie et les droits de l’homme au sein de la société.
Après l’élection présidentielle contestée du 16 décembre 2001, le FFKM revient en force. Sous l’impulsion du cardinal-archevêque d’Antananarivo, Mgr Armand Razafindratandra, il prend parti pour Ravalomanana qui s’autoproclame élu au premier tour. En retour, celui-ci prodiguera ses largesses financières aux Églises. Cette ambigüité cesse avec le départ en retraite du cardinal en 2006. L’épiscopat reprend ses distances, provoquant les représailles du chef de l’État : perquisition dans les églises, expulsion d’un jésuite étranger, mesures vexatoires à l’égard du Nonce apostolique. Le conflit s’envenime avec le rejet par l’Église de la réforme de l’enseignement préconisée par le pouvoir. Pendant ces années, les déclarations des évêques témoignent de la montée des tensions dans le pays, prouvant que l’explosion de 2009 n’a pas été fortuite…
La crise de 2009 consacre aussi la division du FFKM, dont les efforts de médiation tournent court : l’Église réformée FJKM affiche son soutien à Ravalomanana, qui est toujours son vice-président depuis 1998, alors que les catholiques sont soupçonnés de sympathie pour le chef de la contestation, Andry Rajoelina. La démission et la fuite de Ravalomanana, le 17 mars 2009, ouvrent la page d’une transition qui court toujours. Mais si les catholiques ont sauvegardé leur unité, l’Église réformée se raidit dans une posture intransigeante, voire violente, qui annonce des jours difficiles pour sa cohésion future.

Ces questions sont cruciales, notamment pour l’Église catholique. De plus, il lui faut réévaluer son engagement social, plus porté sur le caritatif que sur le développement, et l’orientation de son réseau éducatif et sanitaire. Elle devra également se libérer d’un cléricalisme et d’un triomphalisme envahissants, où prêtrise et vie religieuse représentent toujours un moyen de promotion sociale. Or la société évolue, passant du monde de la tradition au monde moderne, ce qui suscite un courant de sécularisation alimenté par la perte des repères traditionnels. Aux chrétiens d’être attentifs à cette mutation inexorable. La crédibilité et l’avenir de l’Église-institution se jouera sur sa capacité à sauvegarder la spécificité des valeurs malgaches, en les adaptant et en y infusant les valeurs évangéliques. Alors, elle sera partie prenante dans la construction de la société de demain, et au cœur des préoccupations des Malgaches.
Sylvain Urfer, sj
Paru dans Présence Mariste N° 268, juillet 2011