Je me souviens que, dans le catéchisme de mon enfance, l’Église était représentée sous la forme d’une sorte de pyramide dont le sommet était occupé par le pape. Puis, sur les degrés inférieurs, de part et d’autre de ce gradin le plus élevé, prenaient place les évêques. Au-dessous encore, on voyait les prêtres. Enfin tout en bas, c’était la foule des laïcs.
Parler de la "place des laïcs dans l’Église, voilà qui me renvoie à cette image incrustée dans un coin de ma mémoire, l’image d’une Église institutionnalisée, avec son impressionnante hiérarchie.
Les laïcs n’étaient nécessaires, pour cette Église, pas plus pas moins que les brebis pour leur berger. J’exagère sans doute, mais dans mon esprit d’enfant, les choses se présentaient bien comme cela. Et comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, j’apprenais que « pour les rois, le monde est très simple. Tous les hommes sont des sujets ».
Je ne suis pas sûr d’ailleurs que dans l’esprit de plus d’un, l’Église ne soit vue encore autrement que comme une institution de type monarchique avec son roi, ses ministres et le petit peuple.
Puis est venu Vatican II
Fort heureusement, il y a déjà cinquante ans, le Concile Vatican II nous donnait une tout autre image de l’Église, du rôle des laïcs dans cette Église, et non plus de leur place. Tel est le sujet de l’un des décrets adoptés par les Pères du Concile, en date du 18 novembre 1965 sous le titre : « Décret sur l’apostolat des Laïcs ».
Il faut peut-être rappeler ici que le Concile a promulgué seize textes qui se répartissent en trois groupes : des « Constitutions » (il y en a 4) ; des « Décrets » (9) ; des « Déclarations » (3).
Les Constitutions ont une valeur théologique et doctrinale permanente. Ce sont donc les textes principaux, fondamentaux. Les décrets ont une portée plus limitée et plus pratique. Les déclarations font le point sur l’état de la recherche dans l’Église, à l’époque.
On pourrait penser, en bonne logique, que le rôle des laïcs dans l’Église n’a pas été la première préoccupation des Pères conciliaires. Mais il n’en est rien, car le Concile s’est longuement interrogé sur la condition des laïcs dans la Constitution sur l’Église, désignée par les deux premiers mots du texte, en latin : « Lumen gentium », Lumière des peuples. Ce texte, d’une importance capitale commence par dire que l’Église est d’abord le « royaume de Dieu », un royaume largement ouvert à tous les hommes quels qu’ils soient, car « il n’y a dans le Christ et dans l’Église aucune inégalité qui viendrait de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe ». Ce royaume est universel. L’Église est « le sacrement universel du salut » pour reprendre une expression du Concile. Mais au sein de l’humanité, Dieu s’est choisi un peuple, celui des Chrétiens en général, celui des Catholiques en particulier auxquels s’adresse en premier lieu le Concile. Ce peuple est régi par une institution qui nécessite une hiérarchie à laquelle sont confiées des fonctions variées. Il va de soi qu’une institution ne saurait se maintenir dans le temps et l’espace sans une structure, une organisation solide.
L’Église entière est conviée à la mission
Mais l’institution qu’est l’Église ne se réduit pas à son organisation hiérarchique. Le Concile souligne nettement la distinction fondamentale entre la fonction et la mission. Les fonctions supposent des rôles différents, mais la mission incombe à tous. Et il est clair que la mission prime sur la fonction. Car si tous les Chrétiens n’ont pas une fonction définie, ils ont tous une mission. Et cette mission s’impose à tous ceux des Chrétiens qui ont aussi une fonction. C’est dire la responsabilité que doit assumer tout Chrétien. Et si les Chrétiens sont un peuple choisi par Dieu, dans un mystérieux dessein, ils ont la charge d’ouvrir ce peuple à l’humanité toute entière. Ils ne sont pas propriétaires d’un royaume de Dieu replié sur lui-même.
L’Église est le peuple de Dieu et il n’y a qu’un peuple de Dieu, un peuple qui n’a « qu’un Seigneur, une foi, un baptême » comme il est dit dans la lettre aux Éphésiens (4, 5). Et prenant l’image du corps humain, Paul explique aux Chrétiens de Rome que « de même qu’en un seul corps nous avons plusieurs membres et que tous les membres n’ont pas tous même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (12, 4-5). De plus, tous les Chrétiens, quels qu’ils soient, sont appelés tous à la même sainteté. Dans l’Église, rappelle le Concile, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l’apôtre : « Oui, ce que Dieu veut, c’est votre sanctification. » (Paul dans sa première lettre aux Chrétiens de Thessalonique, 4,3).
D’hier à aujourd’hui…
On trouve une illustration très concrète de ces rappels du Concile Vatican II dans l’histoire de l’Église naissante. On peut bien attribuer la fondation de l’une ou l’autre des églises à tel ou tel apôtre, ce ne sont le plus souvent que légendes. On ne prête qu’aux riches, dit le proverbe. En réalité, les Églises, à commencer par celle de Rome, ont été fondées par des Chrétiens anonymes. Le christianisme s’est propagé, de proche en proche, et avec quel dynamisme, grâce à des laïcs missionnaires itinérants, dont l’histoire a généralement oublié le nom. Ceux qui ont récolté ne sont pas ceux qui ont semé.
Aujourd’hui, les religieux sont des hommes et des femmes, parfois investis de fonction, qui sont appelés à la mission comme des combattants de première ligne. Saint Marcellin Champagnat avait cette conviction, bien enracinée, que tous les diocèses du monde entraient dans ses vues de fondateur. Il y a presque deux siècles que ses religieux ont essaimé dans bien des contrées du globe. Et plus récemment, ses Frères ont répondu à l’appel de l’Église, manifesté encore par le Concile Vatican II, dans le décret sur l’activité missionnaire de l’Église, le décret appelé « Ad Gentes », Aux païens ; devenu pour eux comme un mot d’ordre.