Pontmain (2/5) « Je vois une belle grande Dame ! »

Les enfants voient, les adultes sont incrédules et inquiets

Combien de temps Eugène resta-t-il à contempler la Dame ? Dix bonnes minutes… Un quart d’heure, peut-être… L’extase vous plonge dans un tel ravissement que vous ne parvenez jamais à l’enserrer dans une mesure humaine…

Jeannette cependant avait étanché sa soif de causette et elle passa le seuil de la grange. Eugène l’interrogea à brûle-pourpoint :
« Jeannette, regardez donc au-dessus de la maison d’Augustin si vous ne voyez rien ! ».

La bonne vieille scruta curieusement les ténèbres puis hocha la tête :
— « Ma foi non, mon pauvre Eugène, je ne vois absolument rien ! »

Le père Barbedette et Joseph, attirés par cet étrange dialogue, sortirent à leur tour et braquèrent leurs regards dans la direction indiquée.
« Vois-tu rien, toi, Joseph ?
— Oh, oui ! répondit le cadet. Je vois une belle grande Dame ! ».

Et il dépeignit la vision dans ses moindres détails. Le papa, quant à lui, interrogeait vainement le ciel constellé sans rien distinguer de particulier. Aussi trancha-t-il, d’un ton sans réplique :
« Allons, allons, mes pauvres petits ! Vous ne voyez rien. Si vous aperceviez quelque chose, Jeannette et moi nous le découvririons également. Les ajoncs nous attendent, le souper aussi ! ».

« Pas un mot de tout cela ; personne ne les croirait
et cela ferait peut-être du scandale ! ».

La tête basse, les enfants rentrèrent dans la grange. Sur le pas de la porte, Barbedette, inquiet malgré lui, murmura à l’oreille de Jeannette :
« Pas un mot de tout cela ; personne ne les croirait et cela ferait peut-être du scandale ! ».

Le rythme syncopé des maillets reprit… Pas très longtemps ! Pourquoi, soudain, la gorge de papa Barbedette se noua-t-elle ?
« Eugène, va donc voir si tu vois encore ! ».

D’un bond, le petit fut dehors et cria aussitôt :
« Oui, c’est tout pareil !.
— Dans ce cas, va chercher ta mère et dis-lui que j’ai besoin d’elle ! »

« Que c’est beau, que c’est beau ! ».

Avec son père, Joseph sortit. De suite il battit des mains en criant :
« Que c’est beau, que c’est beau ! .
— Vas-tu te taire !… gronda Mme Barbedette accourue, en frappant Joseph sur le bras. Les voisins nous regardent ! »

Les deux enfants interrogèrent leur maman, lui fournissant de multiples détails. Après une longue observation, elle dut avouer :
« Je ne vois rien du tout ! ».

Aux voisins accourus, rongés de curiosité, elle se borna à dire :
« Ce sont les enfants qui « affolent ». Ils disent apercevoir quelque chose, mais ce n’est rien ! ».

Et, pour couper court à l’incident, elle repoussa fermement son mari et ses enfants dans la grange en claquant la porte au nez des badauds. Pourtant, maman Barbedette, touchée par l’accent de sincérité des petits, se prit à dire :
« C’est peut-être la Sainte Vierge qui vous apparaît… A genoux ! Récitons cinq Pater et cinq Ave en son honneur ! ».

Tous s’exécutèrent avec recueillement. Alors, sûre d’avoir conjuré le mystère de la nuit, elle ajouta, d’un ton résolu, en entrebâillant la porte :
« Regardez si vous voyez encore ! .
— Oui, chantèrent joyeusement deux voix cristallines. C’est encore tout pareil ! »

Mais allez donc, d’emblée, accueillir semblable vérité ! Allez donc accepter, comme ça, devant des gamins, de perdre la face. en constatant vos limites !
« Une minute ! Je reviens avec mes lunettes ! ».

Voilà maman Barbedette de retour, qui ajuste ses besicles, les éloigne, les rapproche, fronce les sourcils, sa servante, Louise, sur les talons. Non, vraiment, la science humaine n’a pas encore réalisé l’appareil d’optique propre à scruter l’au-delà. Gagarine lui-même n’a pas réussi à découvrir Dieu dans le cosmos ! Le jugement tombe, péremptoire, glacial :
« Vous ne voyez rien ! Allons, au travail, petits menteurs, petits visionnaires ! ».

Le cœur bien gros, Eugène et Joseph reprirent leurs occupations.

L’instant d’après, en quittant la grange pour se rendre à la maison, ils contemplèrent à nouveau, à la dérobée, la céleste Vision, toujours fidèle au rendez-vous.
« Venez vite souper »,

ordonna le père. Marchant à reculons, les petits obéirent.
Le repas expédié, permission fut donnée de retourner à la grange, à condition de réciter encore cinq Pater et cinq Ave. La Dame drapée d’étoiles les attendait… Se laissant tomber à genoux dans la neige glacée, les enfants prièrent en dévorant la Vision du regard. Puis ils coururent à la maison, le cœur battant.
« C’est toujours pareil ! Oh, que c’est beau La Dame est grande comme sœur Vitaline qui nous fait l’école ! ».

A ces mots, Mme Barbedette eut comme une inspiration.
« Allons chercher sœur Vitaline. Les sœurs sont meilleures que vous. Si vous voyez, elles verront bien, elles aussi ! ».
(à suivre)

Fr. Bernard DESCROIX

(Publié dans « Voyages et Missions » n°108, Janvier 1971)

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