Mariée, mère de famille, Michèle Martin-Grunenwald est théologienne aux Facultés Catholiques de Lyon et membre du Comité de Rédaction de Lumière et Vie.
Ayant animé une session aux Frères, nous l’avons sollicitée une fois de plus pour apporter quelques éléments sur le sujet abordé dans ce dossier. Nous la remercions vivement de sa contribution.
La théologie mariale est un sujet délicat à aborder parce qu’elle demeure, 30 ans après Vatican II, un secteur largement en « crise » (selon les propres termes de René Laurentin, le grand mariologue français).
Le malaise qui y perdure effectivement depuis des décennies et des décennies - pour ne pas dire des siècles - fait aussi de ce domaine un vaste chantier à l’intérieur duquel, une fois les difficultés nommées et reconnues, quelques théologiens se risquent à l’élaboration d’une nouvelle théologie mariale, plus rigoureuse quant aux sources scripturaires, plus respectueuse aussi de la sensibilité de nos frères réformés.
Les courants de l’Histoire.
Il serait totalement injuste de rendre la Réforme, seule responsable de cette discorde, car les premiers réformateurs, et Luther au premier chef, ont eu de Marie une approche très positive, que protestants et catholiques redécouvrent aujourd’hui.
C’est plutôt sur l’histoire récente de l’Eglise catholique elle-même qu’il faut revenir pour trouver les racines de ce malaise.
Jusqu’au concile de Vatican II qui débute en 1962, la théologie et la piété mariale continuent sur l’élan de ferveur donné par le 19e siècle, qui culmine avec la définition solennelle par Pie XII, le 1er novembre 1950, de l’Assomption de Marie comme dogme de foi révélé.
Au moment où le Concile s’est réuni, ces orientations étaient encore largement partagées par les Pères conciliaires ; mais une autre tendance se faisait de plus en plus jour, qui exprimait sa réticence devant ce qu’elle estimait être une « inflation mariale ». La crise qui couvait éclata au moment d’un vote décisif du Concile, à l’occasion duquel les tenants de cette dernière sensibilité l’emportèrent, de peu, sur les autres.
Les stigmates de cette division restent profondes, puisque plus de vingt ans plus tard, la situation n’a guère évolué : malaises et conflits demeurent latents, même si heureusement on peut aussi voir çà et là des productions passionnantes, qui ouvrent sur un avenir plein d’espérance.
Je mentionnerai tout d’abord les travaux d’une théologienne française, Marie-Jeanne Bérère, qui s’est efforcée de montrer combien la prolifération des images imaginaires de Marie au cours des siècles a fini par parasiter sérieusement la théologie mariale, en l’éloignant d’une réflexion fondamentale sur l’Incarnation, car c’est finalement la logique propre de ces images, plus que la théologie, qui a le plus souvent gouverné la mariologie. Le cheminement de l’imaginaire au travers des expressions de la pensée mariale peut se résumer de la sorte :
- Les discours de l’Eglise nomment d’abord Marie mère de Jésus, mentionnant son existence juive et sa maternité à l’égard de Jésus, proclamé Christ et Seigneur. C’est là que se fonde la foi en l’Incarnation.
- Au moment où le Concile d’Ephèse en 431, choisit le terme de mère de Dieu (Theotokos) pour désigner Marie, on perçoit un certain déplacement imaginaire dans la piété des croyants.
Dans ce nouveau champ d’images, le lien significatif existant entre Marie et son fils s’estompe au profit du rapport que celle-ci entretient avec Dieu : on voit alors Marie, épouse de Dieu le Père, haussée à une sorte de parité avec Dieu, qui implique et exige la figure de la vierge mère, puis de la vierge perpétuelle, de vierge sainte, mère secourable et protectrice des humains, qui siège avec Dieu dans les cieux.
Cette logique imaginative, repérable à toutes les époques de la pensée ecclésiale, semble toujours à l’œuvre dans le discours mariologique traditionnel. L’image de la maternité de Marie y perd une part importante de sa signification christologique au profit d’une emprise des figures féminines de virginité et de sainteté corrélative.
Si on pousse plus loin pour comprendre les mécanismes de production qui ont facilité ces glissements successifs, on peut mettre en lumière l’influence de l’imaginaire anthropologique féminin dans les figures de Marie.
On découvre ainsi que lors du processus de christianisation, le culte marial s’est substitué à celui, archaïque, des déesses-mères, ou à celui des vierges noires souvent appelées « Notre Dame » en Europe, dont les louanges évoquent la rencontre extraordinaire et mystérieuse de l’homme avec le divin, et que l’on retrouve largement reprises dans les louanges mariales.
De cette remarquable étude a été tiré un petit ouvrage passionnant et très accessible, où tous ces éléments, trop vite évoqués ici, sont développés et commentés . A conseiller vivement à toutes les familles ! (Note 1)
Après Vatican II, l’apport du groupe des Dombes.
Autre belle production de théologie mariale récente : celle du Groupe des Dombes, (note 2 ) groupe œcuménique composé pour moitié de prêtres et de pasteurs qui, entre 1991 et 1997, parvint à élaborer ensemble un texte sur Marie.
D’une grande rigueur dogmatique, il s’articule à partir de la confession de foi commune aux uns et aux autres. Les trois articles du symbole de foi (celui dit des Apôtres et celui de Nicée-Constantinople) servent donc de cadre à cette réflexion doctrinale sur Marie.
Sans doute ces articles concernent-ils d’abord et avant tout le Dieu trinitaire, mais précisément il convient de placer Marie à sa juste place dans cet ensemble qui la dépasse et au service duquel elle a été mise. Car on ne doit jamais considérer Marie à part.
- Le 1er article confesse Dieu, le Père tout-puissant et Créateur de toutes choses ; Marie est l’une de ses créatures.
- Le 2e article est consacré à l’itinéraire humain de Jésus Christ, le Fils de Dieu, venu « pour nous les hommes et pour notre salut ». Cet article mentionne Marie comme sa mère.
- Le 3e article traite du Saint-Esprit et de l’Eglise qu’il sanctifie. Marie est un membre de cette Eglise et elle appartient à la communion des saints.
Dans sa sobriété et sa rigueur, ce texte rend vraiment un très bel hommage à la mère de notre Seigneur, et j’invite chaleureusement chacun à le lire en entier .
Michèle MARTIN-GRUNENWALD
(Publié dans « Présence Mariste » n°246, janvier 2006)
- (note 1) Marie-Jeanne Bérère : Marie
Les Editions de l’Atelier/Editions Ouvrières, Paris 1999.
– (note 2) Groupe des Dombes : Marie dans le dessein de Dieu et la Communion des saints
Bayard Editions/Centurion, 2 tomes, 1996 et 1998.