PM 307

L’école d’après… avec la pédagogie d’avant ?

Philippe Meirieu

S’il y a une réalité que les historiens de la pédagogie connaissent bien, c’est l’immense écart, voire le gouffre qui sépare les déclarations d’intention, générales et généreuses, des pratiques réellement mises en œuvre.

Formation à l’autonomie, droits de l’enfant, personnalisation des apprentissages… on n’en finirait pas d’inventorier ces notions dont l’importance est proclamée en grande pompe.

L’école est une institution

D’abord, il faut bien comprendre que l’acte pédagogique n’est pas une simple juxtaposition d’interventions individuelles, mais bien une construction de l’École en son principe même : apprendre ensemble, grâce à la figure tutélaire du maître qui, tout à la fois, crée du commun et accompagne chacun dans sa singularité ; ce que j’apporte aux autres est aussi important que ce qu’ils m’apportent, où nous apprenons, simultanément, à dire « je » et à faire « nous » ; et je crains que les outils numériques qui dominent aujourd’hui soient majoritairement porteurs d’une logique individuelle et techniciste, et que nos élèves, chacun devant leur écran, consomment du logiciel plutôt que de partager des savoirs.

C’est pourquoi il me semble essentiel de réaffirmer que l’École est une « Institution » qui incarne les valeurs de notre République et de rappeler que « l’école à la maison », ça n’est pas, ça ne peut pas être l’École ; parce que justement l’École, c’est ce qui rompt avec les inégalités familiales et sociales : ce qui permet d’accéder à l’altérité.

Quelle école voulons-nous pour demain ?

« Faire l’École », ce n’est pas proclamer l’égalité des chances, mais lutter pour l’égalité du droit à l’éducation.

C’est pourquoi, il ne faut pas seulement « donner plus à ceux qui ont moins », mais « donner mieux » : un environnement culturel de plus grande qualité, des groupes de travail dont la taille permette de réaliser au mieux les activités proposées et des maîtres accompagnés par une formation continue de qualité. Tout cela renvoie à une même problématique : va-t-on se contenter, dans « l’école d’après », de promouvoir, la main sur le cœur, « l’égalité des chances » ou bien saurons-nous mettre en place tout ce qui est possible pour garantir « l’égalité » du droit d’accès à l’éducation ?

Le vrai plaisir dans le partage de l’inépuisable

En ces moments où tous les regards sont tournés vers l’hôpital, n’est-il pas temps d’entendre ce que les enfants de Barbiana (en Italie) écrivaient, dans la lettre à une maîtresse d’école en 1967 : « L’école se comporte comme un hôpital qui, pour améliorer ses résultats, soignerait les bien-portants et se débarrasserait des malades ! » L’École, un angle mort…pour combien de temps encore ?

Il n’y aura un « monde d’après », différent de celui d’avant, que si l’École prend sa part dans sa construction. On n’a jamais autant parlé de solidarité : va-t-on, enfin, promouvoir une véritable pédagogie de la coopération ? On n’a jamais autant évoqué la nécessité de prendre soin des autres : va-t-on, enfin, faire de l’entraide une valeur cardinale de notre École ? Il faut permettre à nos enfants de comprendre que nous avons fait des choix et que d’autres choix sont possibles.

L’école… simple rouage de notre économie ?

Quand notre société marchande fait miroiter à nos enfants un monde-magasin offert à leurs caprices, notre éducation doit maintenant leur faire découvrir un monde-trésor. Quand les médias leur montrent essentiellement une réalité qui fascine, sidère ou terrorise, notre éducation doit les amener à interroger, questionner, interpeller pour constater que rien, jamais, n’est définitif ; notre éducation doit leur montrer que le vrai bonheur est dans l’ouverture à l’altérité.

Quand, partout, on leur susurre à l’oreille qu’ils ne peuvent trouver leur plaisir que dans la consommation effrénée de l’inépuisable, notre éducation doit démontrer, au quotidien, que le vrai plaisir est dans le partage de l’inépuisable : les œuvres d’art, la culture, les connaissances et les savoirs, la transmission et la création… tout ce qui peut se multiplier à l’infini puisque chacune et chacun, en y accédant, n’en prive personne et que quiconque y accède peut la partager à l’infini avec autrui.

Propos d’une intervention de Philippe Meirieu
lors d’un « Café pédagogique », recueillis par Henri Paccalet
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