Quand les Frères Maristes s’installent dans une école communale, leur contrat prévoit la jouissance d’un appartement et d’un mobilier convenables qu’ils doivent entretenir. Les vêtements (soutanes, chemises, chaussettes, culottes…) sont fournis par la procure de la maison-mère mais la communauté doit rembourser ses dépenses de « vestiaire ». Il faut donc que les Frères en prennent grand soin. Et puis, leur fonction les contraint à une bonne tenue vestimentaire. Mais il n’est certainement pas facile pour des hommes de gérer des domaines qui sont habituellement ceux des femmes.
Les habits seront raccommodés « dès qu’un accroc a lieu ou qu’une couture se rompt ». Il faut les étendre de temps en temps au grand air, les exposer au soleil, en laver les parties sales comme les cols. Quant au linge il doit être rangé dans un lieu sec et aéré. S’il est sale, en attendant la lessive, il faut le placer sur des perches ou des fils afin qu’il ne moisisse pas.
Des produits d’entretien naturels
Comme les vêtements de laine, ne sont guère lavés, l’auteur du Manuel domestique offre de nombreux « Ingrédients propres à enlever les taches » : le savon, le fiel de bœuf, l’ammoniaque liquide ou alcali volatil, l’essence de térébenthine contre les taches d’huile. Les terres argileuses, la craie et la chaux éteinte, sont adaptées aux taches récentes. L’essence de térébenthine, l’esprit de vin (vinaigre), l’alcool et l’eau-de-vie enlèvent les taches de résine, de poix, de goudron, de cire et même les peintures à l’huile.
On propose même plusieurs recettes plus ou moins anciennes de fabrication de « Savonnettes pour enlever les taches ». Voici la plus compliquée : mélanger un demi-kilogramme de savon blanc râpé, avec un fiel de bœuf et un grand verre de forte lessive, faire bouillir et retirer du feu pour laisser refroidir. Ajouter de la cendre de sarment broyée mélangée avec trois jaunes d’œufs. Former avec cette pâte de petites boulettes que vous ferez sécher à l’ombre.
Mais il y a plus simple. La benzine est efficace contre toutes les taches grasses, « telles que d’huile, de beurre, de graisse, de cambouis, de résine, de vernis ». Les taches faites par les acides seront lavées avec de l’alcali volatil. Les taches d’encre, fréquentes dans une école, sont nettoyées avec du vinaigre et du savon blanc, ou avec du jus de citron, du suc d’oseille, ou mieux, avec du sel d’oseille (acide de potassium).
La recette pour reteindre les soutanes et habits de laine noirs ressemble à celle de la fabrication de l’encre noire. On fait bouillir, pendant deux heures, un demi-kilogramme de bois d’Inde (un bois originaire des Antilles dont on utilise aussi les feuilles et les graines en cuisine) avec 100 grammes de noix de galle concassées (petites billes qui poussent sur les chênes), dans dix litres d’eau. Après la cuisson, on ajoute cinquante grammes de couperose (sulfate de fer) avant de plonger quinze minutes l’étoffe dans la teinture, Rincé ensuite à l’eau froide l’habit est étendu à l’ombre pour sécher.
Pour la lessive, le savon remplace de plus en plus la cendre de bois. Une « lessive économique » nécessite 1 kg de savon dissout dans un peu d’eau chaude avant d’être versé dans le cuvier. On ajoute 50 litres d’eau chaude, deux cuillerées d’alcali et une d’essence de térébenthine et on agite le tout avec un balai. Le linge introduit pièce à pièce trempe environ trois heures avant d’être frotté puis rincé à grande eau. « On le passe ensuite au bleu à volonté (le bleu Guimet inventé vers 1830 donne de l’éclat au blanc) ». […] « le linge se purifie et se blanchit parfaitement sans s’altérer, et il y a économie considérable de temps, de travail et de combustible ». ’
Pour l’entretien des meubles, l’encaustique est une pâte obtenue par trempage de morceaux de cire dans de l’essence de térébenthine soigneusement étendue. On peut aussi passer un morceau de cire « comme on le ferait avec un savon » puis faire fondre la cire avec un fer à repasser chaud avant de faire briller. Pour vernir les meubles on y passe un mélange d’eau et de blancs d’œufs « à partie égale ». Les boiseries vernies ou peintes à l’huile seront lessivées au savon noir. Pour nettoyer les tableaux peints à l’huile, il faut les frotter avec un oignon coupé en deux en humectant avec de la salive, puis essuyer la partie nettoyée avec un linge blanc. Les glaces seront nettoyées avec des tranches de pommes reinettes. Sur les cadres dorés des tableaux ou des glaces, il faut jeter de l’eau « jusqu’à ce qu’elle retombe bien claire ». Surtout ne pas les essuyer : la dorure serait enlevée. L’intérieur des récipients en verre et en cristal sera nettoyé en les agitant fortement après y avoir introduit dans l’eau des coquilles d’œufs brisées.
Une chambre à donner
Les Frères n’ont pas de chambre individuelle, mais un dortoir. Ils doivent néanmoins disposer d’une « chambre à donner » pour le Frère visiteur ou toute autre personne de passage. Elle sera munie de sièges, d’un prie-Dieu, d’une table avec papier, plumes, encre, règle, crayon, poudrier (pour sécher l’encre) et pains à cacheter les lettres ; d’un lit garni, avec sa descente et un bénitier ; « Une table de nuit, renfermant en outre un vase (pot de chambre) et un peigne très propre, un chausse-pied, une brosse pour habits, une clef pour le cabinet d’aisances, et un crachoir au fond duquel il y aura de la cendre ou de la sciure de bois ».
Sur une petite table seront disposés un pot d’eau avec sa cuvette, une savonnette avec sa soucoupe, une carafe d’eau, un verre et un ou deux essuie-mains. Outre un crucifix, la tablette de la cheminée portera une lampe, deux chandeliers, un porte-mouchettes (éteignoir ?), des allumettes et un miroir. En hiver, le foyer doit être garni, avec pelle, pincettes, attisoir (soufflet), balayette et provision de bois à portée de main. Pour l’édification et l’intérêt du visiteur Il y aura au mur quelques tableaux pieux, et quelques livres à l’endroit le plus adéquat.
Chaque communauté est donc un ménage qui doit se débrouiller pour assurer lui-même la plus grande partie des tâches domestiques, et présenter au public, même dans ce domaine profane, une conduite exemplaire.