Une génération en mouvement, avec des spécificités et des ambivalences
Si la jeunesse a toujours été mobile, cette génération est particulièrement marquée par la vitesse : les jeunes sont créatifs, ils ont une grande soif d’interactivité et d’événementiel, qu’ils savent générer par eux-mêmes. Ils aspirent au leadership parce qu’ils en ont l’expérience au sein des réseaux où ils s’investissent. Cette rapidité est due pour une large part aux nouvelles technologies : ils mènent des vies digitales, même dans les pays pauvres où l’accès à l’internet précède parfois la satisfaction des besoins élémentaires. Les jeunes d’aujourd’hui sont très conscients de ce que la technique leur apporte en termes de relations, mais ils perçoivent mieux que la génération précédente les risques inhérents aux usages : le repliement sur soi, la consommation d’images et de films, l’addiction au numérique, la pornographie. Cela ne veut pas dire qu’ils savent comment éviter ces écueils ni comment en sortir par eux-mêmes.
La belle vitalité de cette génération et sa capacité d’initiative peuvent faire illusion, car elle est également marquée par une grande vulnérabilité. Elle a souvent vécu des expériences contrastantes ? : le divorce de proches, la drogue, les violences intimes ou sociales, la corruption, les migrations forcées, le déficit d’accès à l’éducation et à l’emploi… Les 300 jeunes réunis en pré-synode à Rome en mars 2018 ont par ailleurs perçu des différences importantes entre eux, ceux des pays du Sud subissant davantage les fragilités sociales, telles que les guerres ou la pauvreté, et ceux des pays du Nord davantage les fragilités internes, d’ordre psycho-affectif ou liées à la perte de sens.
Une quête de communautés qui habilitent à être soi parmi les autres
« Les jeunes aspirent à être eux-mêmes par le biais de communautés authentiques et accessibles, qui les soutiennent et les tirent vers le haut : ils recherchent des communautés qui les mettent en capacité d’être eux-mêmes » (du document final du pré-synode des jeunes, Rome, mars 2018).
Plus que jamais, les jeunes aspirent à mettre en œuvre leurs virtualités, mais ils recherchent des groupes leur donnant la capacité effective d’y parvenir.
Cette mise en capacité des personnes par les communautés humaines est l’équation complexe qui paraît susceptible de répondre aux contradictions de cette génération. Car d’un côté, les jeunes ont soif d’autonomie, revendiquent des parcours personnels et instaurent des relations horizontales faisant fi des circuits hiérarchiques mais, d’un autre côté, ils placent des attentes très fortes dans les entités collectives, aussi bien leurs groupes d’amis et leurs réseaux relationnels que les entreprises, les associations humanitaires, les partis politiques ou les organismes religieux dont ils se rapprochent. Le pré-synode exprime ici ce que savent les DRH, à savoir que les jeunes s’intéressent de près, lors des entretiens d’embauche, aux valeurs de l’entreprise.
Le pré-synode fait ressortir une autre tension. Elle réside entre, d’une part, une immense soif de mise en relation, d’interactivité et d’interculturalité, et, d’autre part, une forte aspiration au sentiment d’appartenance et à l’enracinement. Entre le désir de vivre les multiples rencontres que rend possibles un univers de plus en plus connecté, et la peur de rencontrer la différence, se fait jour un écartèlement qui accroît la difficulté à trouver sa juste place dans le monde.
Aspirations spirituelles, désaffiliation religieuse et idéalisation de l’Église
Il n’est pas surprenant que de telles tensions traversent également le rapport à la religion, même si leur intensité y apparaît plus grande et les modalités plus spécifiques. En effet, le caractère individuel des démarches est encore plus prononcé quand il s’agit de spiritualité, comme si les mots manquaient pour décrire des sentiments religieux très intimes, chargés d’expériences émotionnelles et reliés à une quête esthétique.
De leur côté, les religions sont davantage regardées comme des institutions au service d’une idéologie que comme des groupes de proximité où les individus peuvent s’épanouir, ce qui explique le phénomène bien connu de la désaffiliation religieuse. Les religions souffrent de la défiance suscitée par les institutions. Leur langage est jugé incompréhensible car trop complexe, et leur morale sexuelle d’un autre âge.
Paradoxalement, ce rejet des institutions religieuses s’accompagne d’une certaine idéalisation vis-à-vis du religieux et du sacré. La déception et le désarroi n’en sont que plus vifs lorsqu’éclatent les scandales touchant des clercs dans le domaine de la sexualité, de la probité ou des fonctionnements hiérarchiques. Comment rejoindre les jeunes là où ils en sont de leur trajectoire ? Quels processus impulser dans l’Église pour mieux préparer la voie à l’Évangile ?
Deux pistes principales se dégagent du pré-synode. D’abord, il y a un gros travail à faire pour rendre le christianisme plus accessible, plus proche de l’expérience humaine et des cultures dans leur diversité. Ensuite, les jeunes ont besoin de leaders humbles, vulnérables et inspirants ; les formes de leadership doivent être repensées pour que les jeunes et les femmes y aient davantage accès, dans une Église plus synodale. Les jeunes doivent être formés à exercer les responsabilités, de même que les personnes qui les accompagnent. Revient ici en force la problématique de la mise en capacité si importante à notre époque.
Ouverts sur l’avenir
La belle initiative qu’a eue le pape François de réunir un pré-synode a montré que les jeunes sont capables, par des interactions concrètes et dynamiques, de faire éclater les communautés de semblables entretenues par les préjugés et les réseaux sociaux, et de susciter des relations plus interculturelles et plus intergénérationnelles. Puisse l’exemple donné par ces trois cents jeunes délégués stimuler le travail des Évêques qui seront réunis en synode en octobre 2018 !
Eux aussi proviendront des quatre coins de la planète ; eux aussi auront été choisis pour se laisser conduire par l’Esprit Saint au bénéfice d’un renouveau missionnaire.