De l’impératrice Ts’eu-Hi à Mao-Tsé-Tung

Le 13 septembre dernier, [1963] la maison provinciale de St-Genis-Laval était en deuil. Frère Marie - Nizier Morel, ancien Provincial de Chine, s’en allait recevoir la récompense auprès du Père.

Plus d’un de ceux qui l’avaient connu en Chine repassaient dans leurs pensées le souvenir d’un demi - siècle de l’histoire de ce pays, et se remémoraient ces jours de 1954 qui avaient vu la fin de nos œuvres dans un pays où l’on avait tant travaillé.

28 avril 1954 : Fr Marie-Nizier est sommé
de quitter la Chine dans les 24 heures

En ce début de 1954, la situation politique en Chine avait déjà fort évolué depuis que, en 1947, la poussée communiste s’était abattue sur le pays. Déjà, une grosse partie des effectifs de cette province mariste avait été repliée sur Hong-Kong, Macao, Ceylan, Singapore. Il ne restait plus que trois Frères européens en territoire chinois, dont Frère Marie-Nizier.

Et le 28 avril 1954, tous trois sont convoqués à la Police Centrale de Pékin. Là, on les chapitre sérieusement, leur reprochant de ne pas observer les lois du Gouvernement du Peuple. Et après cette admonestation, la sanction vient : les trois Frères doivent quitter la ville dans les 24 heures. Chacun pourra emporter deux valises, mais celles-ci devront être envoyées à la Police pour examen. Et les trois Frères reçoivent leur visa de sortie, qui est la confirmation de l’ordre de départ.

C’est ainsi que Frère Marie-Nizier quittait sans espoir de retour ce Pékin où 56 ans auparavant, il était arrivé, jeune missionnaire âgé de 19 ans, et où il avait été le témoin et l’acteur de tant d’événements : l’insurrection des Boxeurs et la ruine des œuvres en 1900, leur relance après l’orage, la prospérité de la Province dont il fut l’un des bons ouvriers, et de nouveau la ruine sous les coups du communisme.

LES JEUNES ANNEES

Né le 14 août 1879, à Satolas (dans ce Dauphiné qui a donné tant de ses fils à l’Institut des Frères Maristes), le jeune Paul Morel eut une enfance très tôt marquée par de cruels deuils familiaux. A quatre ans et demi, il perd sa maman que suit bientôt dans la tombe une sœur aînée qui aurait pu remplacer la maman disparue. Et l’année suivante, la mort du papa laisse orphelins le petit Paul et ses cinq frères et sœurs.

C’est une tante qui accueille à Millery ces six orphelins : « Tante Blandine », à qui le Curé d’Ars, qu’elle avait consulté sur sa vocation hésitante entre le mariage et le couvent, avait répondu :
« Ni mariage, ni couvent : le Bon Dieu vous réserve une autre tâche ».
Cette tâche, c’était justement l’éducation de ses neveux et nièces orphelins.

En 1891, le jeune Paul fait sa première Communion : et déjà il entend l’appel du Seigneur qui va l’emmener au Juvénat des Frères Maristes en août 1892 ; et en 1894, le jeune Morel devient Frère Marie-Nizier.

Juillet 1898, Fr Marie-Nizier s’embarque pour la Chine

Ses années de formation terminées, Frère Marie-Nizier est volontaire pour partir en Chine où les premiers Frères Maristes sont arrivés sept ans plus tôt. En juillet 1898, il s’embarquait à Marseille avec quatre autres jeunes missionnaires.

Et bientôt, à pied d’œuvre, Frère Marie-Nizier commence son apostolat missionnaire au Collège du Nantang à Pékin.

LE POING DE LA JUSTICE ET DE LA PAIX

Tel est le nom de cette association qu’on va appeler plus communément « les Boxeurs » et qui va cristalliser dans une insurrection, le sentiment anti-étranger et antichrétien excité par la politique européenne et soutenu par le gouvernement réactionnaire de Pékin. Partout où vont passer les Boxeurs, ils vont brûler les églises, massacrer les chrétiens et les missionnaires, personne ne trouvant grâce devant eux. Tout le Nord de la Chine est ainsi le théâtre de toutes sortes d’atrocités.

A Pékin, le danger fut particulièrement grand pour les Frères. Ceux-ci se trouvèrent séparés en trois groupes : l’un, réfugié à Chala avec les orphelins dont les Frères avaient la charge ; un autre groupe réfugié dans le quartier des Légations étrangères ; enfin, le troisième groupe, autour de Frère Jules-André, Visiteur du district, et dans lequel se trouve Frère Marie-Nizier, trouve refuge au Peitang.

LE « PEITANG »

Ce « Peitang » (le mot signifie : église du Nord) est un vaste rectangle de 500 mètres de long sur 300, dans lequel se trouvent la cathédrale, la résidence épiscopale, les séminaires et un grand orphelinat dirigé par les Sœurs. Il est entouré sur trois côtés par un mur de trois mètres do haut, et adosse sa quatrième face à la muraille de la Ville Impériale, haute de six ou sept mètres.

LE SIEGE

Le 13 juin, il y a, dans l’enceinte du Peitang, outre les résidents habituels, plus de 3 000 réfugiés chrétiens, hommes, femmes et enfants, qui ont fui devant l’avance des Boxeurs. La défense est assurée par trente marins français que commande l’enseigne de vaisseau Henry, et dix marins italiens sous les ordres du lieutenant Olivieri. Tous les hommes valides sont mobilisés pour les travaux de défense.
Frère Jules-André a la responsabilité de l’orphelinat des Sœurs ; il y est secondé par Frère Marie-Nizier. C’est là que celui-ci fait sa profession religieuse perpétuelle, peu avant une attaque des Boxeurs : il a alors 21 ans.

Le 30 juillet, le commandant Henry est tué d’une balle. Dès lors, Frère Marie-Nizier reçoit un fusil pour participer à la défense.

Une sortie est décidée pour aller chercher du riz

Quelques jours plus tard, alors que l’on ne dispose plus que de quatre ou cinq jours de vivres, une sortie est décidée pour aller chercher du riz dans un entrepôt situé à quelque 120 mètres du mur d’enceinte sud. L’expédition comprendra une douzaine de marins, plus quelques volontaires qu’accompagneront un prêtre et un Frère Mariste.

Frère Marie-Nizier est décidé pour cette périlleuse mission. Et le Frère Visiteur lui dit : « Vous sortirez sans fusil, car je ne veux pas que vous soyez tué les armes à la main ». Cette décision paraît dure à Frère Marie-Nizier ; mais il reconnaît finalement la sagesse (il l’avouera plus tard) et il fait le sacrifice de sa vie : l’expédition a en effet peu de chances de réussir. Tellement peu d’ailleurs qu’après un sévère rationnement, cette sortie est reportée à une huitaine de jours.

Huit jours plus tard, c’est la délivrance.

Mais entre temps, d’innocentes victimes étaient tombées, particulièrement le 12 août. Ce matin-là, l’explosion d’une bombe causa notamment la mort de quatre marins italiens, d’une quinzaine de réfugiés et de 54 orphelines ensevelies dans l’écroulement de l’immeuble. C’est en dégageant l’une des victimes que le Frère Visiteur, Frère Jules-André, fut atteint d’une balle en plein cœur et s’écroula dans les bras de Frère Marie-Nizier.

Dans les quatre derniers jours du siège, Frère Marie-Nizier se dépense avec un héroïsme et un dévouement redoublés. Mais enfin, le 16 août, les troupes alliées délivrent les assiégés.

La paix revenue,
il faut reconstruire

La paix revenue dans le Nord de la Chine, il faut reconstruire. A Pékin, on repart de zéro.

Bientôt, l’on découvre une résidence bourgeoise vide : et l’on s’y installe pour continuer l’œuvre du Collège du Nantang qui a été rasé. Et c’est là que va s’élever une nouvelle construction, la première construction mariste en Chine. Frère Marie-Nizier y fait son apprentissage de bâtisseur ; et en 1905, il est nommé directeur du Collège, cumulant en même temps les fonctions de directeur du juvénat et de maître des novices.

Cet apprentissage de bâtisseur, il en tire profit lorsque, en 1910, on entreprend la construction à Chala d’un nouveau juvénat et noviciat, dont Frère Marie-Nizier assumera la direction jusqu’en 1911.

En 1917, le Frère Marie-Nizier est nommé Provincial

Quand, en 1917, le Conseil Général nomme Frère Marie-Nizier Provincial de Chine, celui-ci a à peine 38 ans. Pendant neuf ans, il va assumer cette fonction, et son provincialat verra le développement des œuvres de formation en Chine.

Mais l’entreprise la plus spectaculaire fut la création du sanatorium et maison de retraite de Heishanhu, plus communément appelé « la Cuvette ». C’était une propriété appartenant à une famille mandchoue. En 1917, Frère Marie-Nizier en fit l’acquisition et on commença à mettre cette propriété en état, puis à bâtir ; et dès 1922, la nouvelle maison accueillait les Frères pour leur retraite annuelle et pour leurs vacances.

Ses neuf ans de provincialat achevés, Frère Marie-Nizier reste à la tête de la maison provinciale. Il se montre là encore l’organisateur de toujours, notamment lorsque, en pleine lutte sino-japonaise, en 1937, à la suite de l’enlèvement de huit Frères et des deux aumôniers de la « Cuvette », il doit abriter à Chala les Frères à la retraite, les grands juvénistes et leurs professeurs.

Les années de 1938 à 1945, Frère Marie-Nizier les passe à Shanghai
où il est chargé notamment de construire un collège pour Chinois, une construction provisoire comme la situation de guerre seule la permet, et que la poussée communiste ne permettra pas de mettre à l’état définitif prévu.

En juin 1947, Frère Marie-Nizier doit reprendre les fonctions de Provincial.
C’est l’heure de la menace communiste. Mais, avec un bel optimisme, Frère Marie-Nizier ne croit pas à la victoire des Rouges : il a déjà tant vu de révolutions en Chine depuis cinquante ans !…

Cependant, les faits apportent bientôt un démenti à ces vues optimistes ; et, peu à peu, il faut bien abandonner les œuvres en plein essor et quitter la Chine.

En 1950, Frère Marie-Nizier a 71 ans, et sa santé commence à fléchir : son mandat de provincial n’est pas renouvelé. Mais il reste au milieu des Frères dont il a la confiance affectueuse.

Nous avons dit comment, en avril 1954, l’un des derniers parmi les Frères européens, Frère Marie-Nizier quitte définitivement la Chine.

Rentré en France, Frère Marie-Nizier
ne reste pas inactif.

Rentré en France, Frère Marie-Nizier ne reste pas inactif. En dépit de son âge (il a 75 ans), il va encore se dévouer dans toute la mesure où sa santé le lui permet : il sera à Neuville-sur-Saône l’aide compétent et apprécié du Frère Directeur et du Frère Econome.
C’est seulement en août 1962 (il a maintenant 83 ans) que, sur l’ordre de son Frère Provincial, il se retire à la maison de retraite de Saint-Genis-Laval. Il y fera encore l’édification de tous par sa simplicité, son humilité et son esprit de piété.

Frère Marie-Nizier fut une belle figure mariste,
possédant à un haut degré les qualités et les vertus du bon supérieur. « II a passé en faisant le bien, écrit de lui l’un de ceux qui l’ont le mieux connu, semant le bon esprit, la bonne entente, le zèle du salut des âmes ».

Quand, au matin du 13 septembre dernier, on le découvrit sans vie sur son lit, ce fut une nouvelle douloureuse pour toute la communauté. Sa mort subite surprit tout le monde : la veille encore, au soir, il avait conversé comme d’habitude avec ses voisins de table. Mais cette mort ne dut pas le surprendre, lui qui, à 21 ans, avait déjà fait au Seigneur le sacrifice de sa vie au service de son prochain.

D’après Fr. André-Gabriel,
ancien Provincial de Chine 1938 à 47 et 1950-59

(Publié dans « Voyages et Missions » n°81, avril 1964)

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