Le 24 août 1991, grande liesse chez les Frères Maristes et leurs amis d’Extrême Orient : on fêtait solennellement le centenaire de l’arrivée des premiers Frères à Pékin.
Pour des raison évidentes, les cérémonies n’ont pu avoir lieu dans cette ville. C’est à Petaling Jaya, banlieue de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie qu’elles se sont déroulées.
Elles furent précédées, selon le désir du Fr. Supérieur Général, d’une assemblée provinciale réunissant la plupart des Frères de la Région et qui dura une semaine. Prières, échanges, réflexions occupèrent le temps des participants. Le deuxième jour fut consacré à l’action de grâces pour ces cent ans d’apostolat et au souvenir de ceux qui y avaient consacré leur vie.
Pendant l’Eucharistie, les noms de tous les défunts de la Province furent rappelés, ceux des Frères chinois par les participants étrangers, et vice-versa. Moment très émouvant que ce rappel de tant de confrères connus et appréciés dont 57 reposent au caveau de St-Genis-Laval.

Lors des échanges, on s’est tourné courageusement vers l’avenir, sans exclure la possibilité, lorsque les circonstances le permettront, d’ouvrir un nouveau champ d’apostolat en Chine.
Action de grâces en Eglise
Le samedi 24 août eut lieu la messe solennelle d’action de grâces à l’église paroissiale de St-François-Xavier, patron des Missions. Mgr Tricario, délégué apostolique en Malaisie, avait bien voulu présider les cérémonies ; il était assisté de l’archevêque de Kuala Lumpur et des évêques de Malacca et de Penarig, ainsi que de nombreux prêtres. Une foule nombreuse de religieux, de religieuses et de laïcs amis des Frères assistait à cette Eucharistie. A l’offertoire, on présenta au célébrant un exemplaire des Constitutions des Frères, ainsi que le fanion du centenaire. Avant la bénédiction finale, le célébrant remit une bénédiction apostolique au Fr. John Lek, Provincial, au nom du Saint Père ; puis le Fr. Richard Dunleavy, Conseiller Général et délégué du Fr. Supérieur Général, lut le message de ce dernier adressé aux Frères de la Province.
La fête se termina par un bon repas chinois servi dans le hall de notre école, à environ 300 convives.
Une épopée digne d’admiration
En 1891, à la demande de Mgr. Sarthou, Vicaire Apostolique de Pékin, six Frères Maristes sont partis de St-Genis-Laval pour arriver dans la capitale impériale au printemps de la même année.
Quelques mois plus tard, deux autres Frères venant d’Australie les rejoignirent. Sans tarder, ces huit Frères prirent en charge deux écoles : l’une à Pékin, l’autre à Tientsin.
Deux années plus tard, un autre groupe de cinq Frères arrivait en renfort, ce qui permit de prendre en charge un orphelinat à Chala, dans la banlieue de Pékin où se trouvaient 130 jeunes Chinois de huit à dix-huit ans. Après sa destruction par les Boxers en 1900, on y construira la Maison Provinciale, les centres de formation, et on y plantera une vigne qui donnera du vin de messe et de table.
En 1893, quatre autres Frères arrivèrent, si bien qu’on fut bientôt en mesure d’accepter la direction du collège St-François-Xavier de Shangai, fondé par les Pères Jésuites en 1874.
Dès le début, on se préoccupa de trouver des vocations autochtones. Au tournant du siècle, il y avait sur le terrain quarante-quatre Frères venus de France, six d’Australie, et sept jeunes Frères chinois. Ils dirigeaient sept écoles à plus de 1.000 km les unes des autres : Pékin, Tientsin, Shanghai et Hankow.
C’étaient essentiellement des écoles de langues : français ou anglais, mais on y enseignait aussi d’autres matières et il y avait la possibilité d’une action apostolique.
Le dernier survivant de cette époque, le Fr. Marie-Victorin (Joannès Billet), est décédé à St-Genis-Laval en 1973 à l’âge de 95 ans.
Les temps d’épreuve
Ces débuts si prometteurs furent marqués par la croix. Quatre des nouveaux arrivés succombèrent au typhus, parmi eux les deux Supérieurs successifs, Dans les lettres de cette époque, on lit :
" Ici, il y a le typhus au printemps, le choléra en été et la malaria toute l’année ".
Puis ce fut la révolte des Boxers en 1900 qui coûta la vie au troisième Supérieur, le Fr. Jules André, au Fr. Joseph Félicité, à un jeune Frère, à un postulant chinois et à un grand nombre d’orphelins de Chala. Deux établissements furent détruits.

Mais les Frères ne se laissèrent pas décourager. D’un peu partout, évêques et missionnaires demandèrent des Frères pour ouvrir des écoles.
En France, suite aux lois Combes, beaucoup de religieux enseignants furent… disponibles. Ainsi pendant les cinq premières années du siècle, quelque 70 Frères arrivèrent en Chine pour porter renfort aux pionniers.
Ni le massacre de toute la communauté de Nanchang en 1906, ni la révolution de 1911 qui mit fin à l’empire et installa la République, n’arrêtèrent l’essor.
1948 : la prise du pouvoir par les communistes
En 1948, lors de la prise de pouvoir par les communistes, les Frères avaient en Chine la direction de 17 écoles ou collèges dont plusieurs comptaient plus de 1.000 élèves.
A Pékin, dans la banlieue de laquelle se trouvaient la Maison provinciale et les centres de formation, les Frères dirigeaient quatre écoles secondaires ; à Tiensin, deux ; à Shanghai, quatre, et quatre Frères enseignaient à l’université jésuite, "I’Aurore" (le Fr. Georges Dürr y était doyen de la section chimie).
Nous avions aussi une école à Tchonking, à Tsintao, à Chefoo, à Weihaiwei. Au monastère trappiste de Yangkiaping, quatre Frères enseignaient aux aspirants.
La Province de Chine comptait alors 215 Frères
La Province de Chine comptait alors 215 Frères dont 109 autochtones, 11 novices et 12 postulants.
En l’espace de trois ans, tous ces établissements furent confisqués par le pouvoir. Les Frères étrangers durent quitter le pays et une cinquantaine de Frères chinois, en majorité jeunes, trouvèrent asile à Hong-Kong, Macao et ailleurs.
Une soixantaine ne purent sortir du pays, et la plupart connurent de longues années en prison ou dans des camps de rééducation par le travail.
Quelques-uns furent victimes de mauvais traitements ou sont morts en prison, tel le Fr. Adon. Le Fr. Joche Albert fut fusillé parce qu’il refusait de se soumettre aux lois antireligieuses qu’on voulait lui imposer.
Pendant de nombreuses années, on est resté sans nouvelles de ces Frères restés en Chine, le rideau de bambou étant devenu ne « véritable muraille de Chine », infranchissable d’un côté comme de l’autre.
Ces dernières années, des contacts ont eu lieu, soit par dès Frères d’origine chinoise munis d’un passeport étranger allant visiter leurs familles, soit par des « touristes ». On se souvient de la visite effectuée par le Fr. Supérieur Général, il y a trois ans… Deux de ces Frères qui ont connu de longues années en prison ont même reçu l’autorisation de venir en Europe : les Frères Alexandre Pai et Aristonique (Paul). C’est ainsi que nous avons appris le calvaire de tous ces confrères et leur témoignage de fidélité envers et contre tout. A présent, il en reste une dizaine, tous relativement âgés qui semblent vivre libérés de toute contrainte.
Nouvelles semailles : Hong-Kong, Macao, Malaisie
Mais l’emprise communiste ne marqua pas la fin des œuvres maristes dans la région. Les jeunes en formation furent accueillis à Macao : nos confrères des Etats-Unis et d’Australie ont ouverts leurs centres d’études à un certain nombre pour leur permettre d’obtenir des diplômes.

A Hong-Kong, grâce à l’aide du gouvernement, nous avons pu construire deux collèges. En Malaisie, des écoles nous furent confiées ; ce fut le cas pour Singapore, Ipoh, Malacca, Bukit Mertajam, Kuantan.
D’autres furent construites. Des établissements nous furent également confiés en Indonésie et en Nouvelle-Guinée, mais depuis, nous avons dû nous en retirer. Un groupe de Frères est allé au Japon, où ils ont fondé un collège à Kobé, établissement qui, par la suite, a été pris en charge par nos Frères de Poughkeepsie (U.S.A.), mais où se trouve toujours l’un des fondateurs, le Frère Stéphane Weber.
Nous avons également essaimé à Sibu (Sarawak) et Kaohsiung (Taiwan). Dès leur arrivée dans ces nouveaux pays, nos Frères ont proposé aux jeunes la vie mariste. Actuellement, on compte dix-huit Frères originaires de Malaisie, trois novices et deux postulants. Le Frère Provincial actuel, Fr. John Lek, est de ce nombre.
Parmi les Frères étrangers ayant passé une partie de leur vie en Chine, il en reste une dizaine à travers le monde dont quatre en France. Avec nos Frères qui, pendant 100 ans, ont éduqué des milliers et des milliers de jeunes Chinois, nous pouvons aussi rendre grâces.
Frère Gilbert JOOS
(Publié dans « Présence Mariste » n°190, janvier 1992)