La grande référence pédagogique des XVIIIe et XIXe siècles
Trois ouvrages principaux marquent l’établissement d’une pédagogie catholique dont s’inspirera largement le Guide des écoles des Frères Maristes en 1853.
Le premier, c’est L’Escole paroissiale de Jacques de Batencour (Paris, 1654) ;
le second, les Réglements pour les écoles de la ville & diocèse de Lyon de Charles Démia (1684) ;
le troisième, La Conduite des Écoles chrétiennes, publié en 1720, qui s’inspire des deux autres ouvrages mais aussi de l’expérience pédagogique des Frères des Écoles chrétiennes fondés en 1685 par Jean-Baptiste de la Salle.
Cet ouvrage souvent réédité, servira de modèle à de nombreuses congrégations qui ont pu se référer à l’édition de 1811 publiée à Lyon, la ville où a été rétabli le centre de la congrégation des F.E.C. après la révolution.
La biographie récente de J.B. de la Salle par Bernard Hours nous en rappelle les grands traits. Comme son prédécesseur Démia, il préconise la méthode simultanée, c’est-à-dire une organisation des élèves en « classes » ou « bandes » de même niveau apprenant successivement la lecture, l’écriture et le calcul.
C’est d’abord une école chrétienne ornée de symboles religieux, où règne le silence, où l’apprentissage profane est fortement encadré par messes, prière, catéchisme. Sur certains points la Conduite innove notablement. Tout d’abord, l’école s’adresse à tous les milieux populaires « riches et pauvres » et les Frères enseignent gratuitement. Par-dessus le marché ils ne doivent pas apprendre le latin afin d’éviter la tentation de la cléricature afin de se consacrer à l’enseignement leur vie durant.
Ensuite, les enfants de milieux populaires n’ont pas besoin de savoir le latin pour les métiers qu’ils exercent. C’est pourquoi, contrairement aux habitudes, l’apprentissage de la lecture débutera en français.
J.B. de la Salle fait donc fi de traditions jusque-là considérées comme intangibles et résout de manière originale le problème du personnel enseignant comme celui du financement. Ainsi, ses maîtres d’école sont des religieux laïcs et non des clercs ou des sous-clercs, trop souvent instables. Ils n’en sont pas moins imbus de l’idée qu’ils exercent un ministère apostolique quoique non clérical.
Constitués en communauté, ils enseignent selon une méthode uniforme et à un prix relativement modique. C’est pourquoi, en dépit de sérieuses oppositions, les F.E.C constituent dès le XVIIIe siècle un modèle pédagogique que cherchent à se procurer les villes capables d’assurer un local et la modeste subsistance d’une communauté d’au moins trois frères : deux pour la classe et un troisième pour les tâches matérielles. Mais bourgs et villages, trop pauvres, ne peuvent bénéficier de cette pédagogie moderne.
L’un de ses points-clés c’est la discipline de l’école faite d’éducation vigilante et d’instruction efficace. Le Frère y assure l’ordre au moyen du « signal » (un manche équipé d’un claquoir) qui lui permet de diriger sa nombreuse classe en parlant le moins possible.
Cinq tableaux de sentences sont accrochés aux murs.
Le premier recommande « Il ne faut ni s’absenter de l’école ni venir tard sans permission » et les autres concernent l’application aux leçons,
l’écriture sans traîner,
l’attention au catéchisme,
la piété.
En désignant telle ou telle sentence, le maître avertit l’élève qui y manque. S’il y a récidive intervient la correction qui doit être rare et modérée et adaptée au caractère de l’enfant. Les « vicieux » (indisciplinés) et les « opiniâtres » seront sévèrement punis, contrairement aux « légers », aux enfants gâtés peu habitués aux sanctions, aux esprits doux et timides. Et on laissera en paix les« stupides », les « incommodés » (souffrant d’une affection chronique) et les petits enfants.
La correction ne vise donc plus, comme chez Batencour, à satisfaire à la justice : plus de prison ni de place infâmante de l’âne. Les châtiments corporels demeurent : au plus, deux coups de férule (deux lanières de cuir cousues ensemble) sur la main pour leçon non suivie, badinage, retard ; trois coups de verges ou de martinet pour fautes plus sérieuses ou récidives ; expulsion pour les libertins et les incorrigibles. Mais le mieux ce sont les « pensums » : par exemple les lignes à copier qui ont en outre l’avantage d’habituer l’enfant à écrire.
Paradoxalement, en cherchant à susciter des hommes d’ordre utiles à l’Église et à l’État, le modèle pédagogique lasallien opère des ruptures de grande portée : en acceptant les riches et les pauvres, il relativise les hiérarchies sociales et les corporatismes ; en délaissant le latin il tend vers une hiérarchie des savoirs plus utilitaire, fort appréciée par les classes sociales modestes mais non dépourvues d’ambition.
Enfin, en inculquant à l’enfant scolarisé une maîtrise de sa conduite et de ses paroles et en lui enseignant la civilité en même temps que la lecture, ce modèle le rapproche de l’idéal de l’honnête homme par des voies autres que la culture classique.
Il n’est pas étonnant qu’après la Révolution, et en dépit de l’opposition des élites éclairées méprisantes envers les « Frères ignorantins », Napoléon ait rétabli les Frères des Écoles chrétiennes parce que l’opinion publique les réclamait, voyant en eux les éducateurs dont elle avait besoin.
Cette vision positive du modèle simultané et de ses promoteurs va entraîner la fondation de nombreuses congrégations de Frères et de sœurs, presque toujours par des prêtres soucieux d’apporter aux petites villes, bourgs et villages un modèle qui, jusque-là, n’avait pu s’implanter que dans des centres urbains capables de le financer.