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28 Un précurseur des Frères maristes : Charles Démia (1637-1689)

Fondateur des petites écoles des pauvres dans le diocèse de Lyon

F. André Lanfrey

M. Démia est né à Bourg-en-Bresse. Il est fils d’un apothicaire. Orphelin à 10 ans, il fait ses études au collège de Bourg de 1648 à 1654 et les poursuit à Lyon puis à Paris où il est ordonné prêtre en 1663. Il se fixe définitivement à Lyon en 1665.

La ville dispose d’écoles payantes « pour les riches », comme on dit alors pour désigner les familles qui peuvent payer une scolarité. Mais un grand nombre d’enfants et de jeunes gens pauvres, sont laissés sans éducation ni instruction, courent les rues, menaçant la paix sociale.

Pour Démia, la création d’écoles gratuites pour les pauvres serait un moyen de les civiliser, de les christianiser et de les rendre utiles à la société. Mais il lui faut résoudre deux problèmes : obtenir le soutien moral et financier des autorités civiles et religieuses ainsi que des notables fortunés ; et recruter de maîtres et maîtresses d’école capables et dévoués.

C’est en 1667 qu’il fonde à Lyon sa première école des pauvres. A sa mort, en 1689, il y en aura une dizaine pour les garçons et autant pour les filles. En 1672, Démia ouvre le petit séminaire Saint Charles pour former des maîtres d’école ; et la même année est créé un bureau des écoles de garçons composé de notables, pour assurer administration et financement.

Pour les filles, l’organisation est un peu plus tardive : à partir de 1677, un bureau de Dames de piété soutient ces écoles. En 1678 est créée une association de maîtres ses d’école qui deviendront les Soeurs Saint Charles.

Charles Démia fonde des écoles de pauvres dans d’autres villes

Mais l’action de Démia dépasse la ville de Lyon. En 1674 un décret royal place sous l’autorité de l’archevêque de Lyon (et donc pratiquement de Démia) toutes les écoles élémentaires, pour les riches comme pour les pauvres, de son immense diocèse. Des écoles des pauvres sont fondées dans d’autres villes : en 1675 à Saint-Étienne, à Villefranche-sur-Saône en 1676, et aussi Rive-de-Gier, Saint-Chamond, Roanne, Saint-Rambert-sur-Loire, Montbrison, Saint-Galmier, Bourg-en-Bresse.

En 1682, Démia publie « Le Trésor clérical », vade mecum des bons curés dont le chapitre IV traite du « soin de la jeunesse & le gouvernement des écoles ». Et en 1688, ce sont les « Règlements pour les écoles de la ville et diocèse de Lyon », véritable manuel d’organisation d’un système scolaire. Lorsque meurt M. Démia en 1689, il est considéré en France comme l’un des grands promoteurs d’une éducation populaire de qualité organisée à l’échelle diocésaine.

Des maîtres d’école de qualité

Dans le "Trésor clérical", il présente les écoles comme "des académies publiques« où la jeunesse apprend la raison et la vertu et comme des »noviciats des chrétiens« . En somme c’est »l’œuvre des œuvres« . Le curé choisira donc pour maître d’école un bon ecclésiastique ou »un laïc d’une grande probité« et pour les filles »une honnête & pieuse matrone", veillant à ce qu’ils soient raisonnablement payés.

Quant au maître d’école, prêtre ou laïc, "bien affectionné et affermi dans la foi catholique« , il se considérera comme »le valet de la maison de Dieu, s’estimant beaucoup honoré de cet emploi« . Il aura »une égale charité pour tous« ses élèves, s’abstenant de toutes injures ou familiarités, veillant à leur éducation religieuse : prière, messe, catéchisme, première communion. Il veillera à leurs bonnes mœurs exhortant ceux qui quittent l’école »à fuir le vin, l’impureté, le jeu & les mauvaises compagnies"…

Quant à l’enseignement, l’école sera divisée en "classes« ou »bandes« de 8 à 10 élèves de capacité homogène. Ceux qui apprennent les lettres le font »dans une grande table où elles sont marquées" ou sous forme de jeu de dés portant des lettres gravées. Les trois classes suivantes s’occupent des autres niveaux d’apprentissage : syllabes, mots, phrases. Le tout en latin. Ce n’est que dans les cinquième et sixième niveaux qu’on lit en français.

Pour l’écriture, on pratique le même système en « bandes » jusqu’à la capacité à écrire trois lignes. Pour ces exercices, le maitre pourra se faire aider d’un sous-maître ou d’un élève plus capable. Pour l’arithmétique, le maître se servira d’une table "à la manière désignée en L’escole paroissiale", (le manuel de Jacques de Batencour) c’est-à-dire à l’aide de jetons. Voilà le niveau scolaire de base.

Pour perfectionner le fonctionnement de ces écoles, le maître pourra se faire aider par des "officiers«  : un intendant »qui a vue sur les autres officiers« , des décurions pour la récitation des leçons, un récitateur de prières, des visiteurs pour contrôler les absences. Le maître parlera peu et se servira d’une cloche »ou autre signal" pour les changements d’exercices. Pour les détails sur tous ces sujets, Démia renvoie à L’escole paroissiale et à ses propres règlements de 1688, beaucoup plus développés.

Et aussi pour les filles

Il termine en précisant que cette organisation vaut aussi pour les écoles de filles. Mais il recommande le livre de M.Chomel : "Lettres d’un curé à un autre curé« qui préconise d’apprendre aux filles »à travailler en même tems (sic) qu’à lire afin d’en faire des filles propres pour leur ménage".

Bien souvent en effet, les filles apprendront à lire mais moins à écrire car leurs mains seront occupées à des travaux de couture. Sont-elles moins alphabétisées que les garçons ? En tout cas elles le sont différemment, l’écriture étant considérée comme moins nécessaire aux filles. Mais en fait beaucoup de garçons quittent l’école sans savoir écrire.

Les écoles paroissiales ont été nombreuses au XVIIIe siècle, mais le modèle préconisé par Charles Démia ne semble guère s’être répandu en-dehors de villes. Ce n’était pas toujours par manque de conviction éducative, mais de moyens financiers et de personnel qualifié.

Et finalement ce sont les congrégations de Frères et de Sœurs du XIXe siècle, dont les sœurs Saint Charles, qui éduqueront largement le monde rural. Mais c’est l’État républicain qui réalisera laïquement et nationalement l’éducation populaire comme système global, que le prêtre Charles Démia avait envisagé deux siècles plus tôt au niveau des diocèses.

F. André Lanfrey

La création d’écoles gratuites pour les pauvres serait un moyen de les civiliser, de les christianiser et de les rendre utiles à la société.

Le maître se considérera comme "le valet de la maison de Dieu, s’estimant beaucoup honoré de cet emploi.

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