
En 1853 les Frères Maristes, devenus une congrégation nombreuse et forte d’une assez longue expérience éducative rédigent leur propre manuel de pédagogie qu’ils nomment « Guide des écoles ». Ils héritent de toute une tradition antérieure, en particulier de « L’escole paroissiale », premier livre de pédagogie élémentaire, publié à Paris par le prêtre Jacques de Batencour.
L’escole paroissiale
C’est un assez gros ouvrage de 335 pages en trois parties. La première développe les qualités dont le maitre doit faire preuve : tout d’abord les vertus théologales : foi, espérance, charité ; puis les qualités professionnelles : prudence, tempérance, force (spirituelle), justice. Et enfin l’humilité : « ne s’estimer pas plus que les enfans ; mais […] les croire plus relevés devant Dieu que luy ».
S’il corrige les élèves, ce sera modérément : sans les frapper au visage ni les injurier. Les punitions ordinaires inspirées du modèle judiciaire, restent rudes néanmoins : les verges sur les mains ou le derrière, la prison durant quelques heures ; la place de l’âne, la plus infamante : « un vieux carton fait en teste d’asne à (sur) la teste ».
Une description précise de l’aménagement de la classe
Le chapitre 2 prévoit « la disposition et ameublement » : les dimensions de la « chambre ou salle d’escole », les fenêtres, la porte, la cheminée, les porte-manteaux, les bancs etc… Les enfants admis sont inscrits sur un registre après de fermes recommandations quant à leur bonne tenue : propreté, ponctualité…

L’école fonctionne grâce à de nombreux « officiers ». La surveillance est assurée par deux « intendants » secondés par deux « observateurs » et deux « admoniteurs ». Des « répétiteurs » ou « décurions » font réciter les leçons des autres élèves. L’écriture étant un exercice compliqué, deux officiers d’écriture préparent le papier, disposent les « cornets » (encriers) et les boîtes à poudre (pour sécher l’encre). Il y a aussi les balayeurs, et les portiers qui veillent à ne pas laisser entrer n’importe qui.
Comme les enfants déjeunent et goûtent à l’école un « aumônier » recueille les offrandes des mieux pourvus distribuées ensuite aux élèves plus pauvres. Enfin chaque mois huit « visiteurs » vont s’enquérir de la conduite des écoliers auprès de leurs parents. Enfin, quand l’école a une centaine d’élèves il faut un sous-maître plus spécialement chargé des « écrivains » c’est-à-dire des élèves plus avancés.
La piété dans la seconde partie
La journée est émaillée de prières diverses et le dernier quart d’heure est consacré au catéchisme ordinaire par questions et réponses. Avant chaque grande fête liturgique une séance de catéchisme explique le « mystère » célébré. L’enfant reçoit aussi une catéchèse sacramentelle sur la confirmation, la pénitence (confession), « la saincte communion ». L’école fonctionne aussi le dimanche ; et les enfants sont conduits à la messe et aux vêpres. C’est typiquement une école paroissiale, qui doit faire entrer dans un temps rythmé par les pratiques chrétiennes.
Et la science en troisième partie
Tout d’abord sur « la manière de monstrer à lire » les lettres, puis les syllabes et enfin les mots et phrases, d’abord en latin, « la lecture françoise étant bien plus difficile à prononcer ». Lorsque les enfants maîtrisent bien la lecture du français on leur fait lire un livre de civilité, « imprimé en caractères différents des autres ». L’objectif est double : faire lire et initier à la politesse. Restent deux degrés ultimes : la lecture des manuscrits et des caractères gothiques.
L’apprentissage de l’écriture ne vient qu’ensuite et il exige tables près des fenêtres, encriers, plumes, mains (liasses) de papier … Le maître doit posséder un bon canif et une grande dextérité pour bien tailler les plumes car souvent les élèves rongent leur plume ou la taillent mal. D’autres n’apportent pas d’encre, ou celle-ci est « bourbeuse ».

La poudre doit être de sciure de buis ou de sable très fin et bien sec. Le maître apprendra aux enfants la bonne tenue du corps et des doigts sur la plume avant les exercices de copie des lettres, des syllabes puis des mots et enfin quelques lignes. L’apprentissage ne va pas au-delà car la corporation des maîtres écrivains veille jalousement sur son monopole.
Enfin, quand les enfants sont capables d’écrire deux lignes, vient l’art « du get (jeton) à la main et à la plume » c’est-à-dire l’arithmétique. Ils doivent apporter une bourse contenant 36 jetons de cuivre ou de « vieux deniers qui ne peuvent plus servir ».
Le maître leur apprend les chiffres arabes et romains en les marquant « sur une table noircie avec de la craie blanche », ancêtre du tableau. Il leur enseigne ensuite le calcul à l’aide de jetons placés sur des lignes représentant les deniers, les sols et les livres, selon le principe du boulier. Il les initie aussi au calcul à la plume, plus abstrait, c’est-à-dire les quatre opérations : addition…
En principe l’école paroissiale n’enseigne pas le latin mais des parents, soucieux de promotion sociale pour leurs enfants, demandent une initiation à cette langue prestigieuse. Réticent, l’auteur la réserve aux enfants doués, motivés, pas trop âgés (neuf à dix ans) et susceptibles d’étudier jusqu’à seize ou dix-sept ans.
Un dernier chapitre intitulé « De la pratique journalière de l’école » présente un horaire relativement précis. Après la messe, l’école a lieu de 8 à 11h avec, de 9h à 9 h ¼ le déjeuner des enfants. L’après-midi elle se déroule de 14 à 17h, avec goûter à 16h. Il faut veiller à ce que les sorties des enfants pour leurs « nécessités » ne soient pas « prétexte de liberté ». Et les « lieux » (toilettes) seront clos pour éviter toute indécence. Il y a congé les jeudis après-midi.
En 1654, ce manuel rend compte d’une réelle pratique et d’un idéal pédagogique balbutiant. Deux siècles plus tard le Guide des écoles s’inscrira dans cette tradition.
