PM 306

Comment penser l’après ?

Une crise anthropologique et spirituelle

F. Michel Morel

Aujourd’hui, tous s’accordent à dire qu’il y aura un « avant » et un « après » Covid 19. Mais cet « après », quel sera-t-il ? Un retour à « l’avant » ou un saut dans l’inconnu, une entrée dans un autre monde réellement et profondément renouvelé ?

Cette crise va au-delà de l’urgence sanitaire planétaire. C’est une crise globale : non seulement écologique, économique, sociale, mais aussi et surtout anthropologique et spirituelle.

La réponse à la crise ne peut être que globale. Beaucoup, dans tous les domaines de notre vie en société, imaginent un ou des modèles à venir ; avec le risque d’un manque de vision d’ensemble. Comme tout est lié et en interdépendance, et même s’il faut apporter des réponses concrètes et rapides, l’urgence est de se poser de bonnes questions qui renvoient au sens même de notre existence individuelle et commune : que voulons-nous vivre d’essentiel ?

Hommage aux soignants, lors du confinement

Ce que nous révèle cette crise ?

Elle a révélé les limites de différents modèles de pensée et de fonctionnement de nos sociétés. De nombreux témoins interrogés sur la façon dont ils ont vécu ou vivent la crise (car elle n’est pas terminée !) soulignent une prise de conscience de leur fonctionnement dans la vie quotidienne, de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas ; de leur manière d’être, de consommer…

L’importance de certains services (santé, alimentation, transports, école…) ; celle des « travailleurs invisibles » ; le besoin de relations sociales, la redécouverte des bienfaits de la nature…Ce qui découle de la crise, ce sont aussi des sentiments largement partagés : vulnérabilité, caractère non durable de notre société ; finitude : nous sommes tous mortels ! Ainsi que cette interrogation, non pas nouvelle mais qui revient avec plus de force : qu’est-ce qui nous rend heureux ?

Quelques principes essentiels pour un monde nouveau

De son expérience et de celle de ses partenaires, le CCFD-Terre solidaire a tiré des principes essentiels pour répondre à la crise actuelle et fonder le monde de demain. (Cf Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre solidaire).

L’auteur formule le souhait suivant, en forme de programme d’action : "Pour que le temps « d’après » ne soit pas celui de l’indifférence, des égoïsmes, des divisions, de l’oubli, mais celui de l’espérance et de la confiance, faisons ensemble le choix de la solidarité internationale, qui unit et mutualise les forces de chacun au service de tous, et de l’écologie intégrale, qui lie approche économique, écologique, sociale, et justice dans le respect des cultures".

Responsabilité de chacun

D’après Jean-François Bensahel, Président de la synagogue Copernic à Paris, auteur du livre, Affronter le monde nouveau (1), paru avant la crise mais qui aide à la penser, ce qui compte, dans la réflexion actuelle, c’est la conscience des risques. Cette conscience des risques (écologiques, économiques, sanitaires…) va-t-elle durer ?

En effet, nous continuons à aller de l’avant comme s’ils n’existaient pas et la grande tentation quand on pense à « l’après » c’est tout simplement, de vite fermer la parenthèse et de « retrouver » la vie « d’avant ».

Or cette crise doit nous donner la possibilité de revenir à nos fondamentaux de la civilisation humaine. Cela dépendra de chacun de nous de se souvenir de ce qui lui est arrivé et de se dire : « Je suis responsable du monde à venir ».

Une réponse d’ordre anthropologique et spirituel

L’auteur cité s’interroge : Avons-nous la conscience que nous avons une humanité commune, que nous sommes pris dans une seule histoire universelle ? Si ce n’est pas le cas, ce sera la guerre de tous contre tous et la fin de l’humanité.

Il est urgent alors de se poser la question : "Qu’est-ce qui nous unit ? Qu’est-ce qui fait que nous avons une humanité commune, même si nous sommes tous différents ? Méditer sur ce qui peut nous réunir a un rapport avec l’esprit, est d’ordre spirituel. Dans la plupart de nos sociétés, surtout « occidentales », le matérialisme a effacé tout autre type de préoccupations et notamment les préoccupations de nature spirituelle ; c’est-à-dire la conscience qui nous relie au-delà de nos différences.

L’humanité ne s’en sortira que par une vision où chacun prendre en compte sa dimension spirituelle. Les religions, quelles qu’elles soient ont un rôle à jouer dans cette vision : nous sommes dans un devenir commun.

On doit penser Dieu sur le mode de la fraternité, car pour l’auteur, la fraternité est l’autre nom de Dieu.

En guise de conclusion

Selon le pape François, "Tout est lié, et comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre", comme le chantait François d’Assise.

F. Michel Morel
Double éclairage

Le pape François, dans son encyclique Laudato Si’ dont les échos ont largement dépassé la sphère des catholiques et dont plusieurs penseurs et responsables s’inspirent, développe la notion d’écologie intégrale qui prend sa source dans la révélation biblique. "Nous ne pouvons avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et créateur. La meilleure façon de mettre l’humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde" (§75).

Le sociologue, Edgar Morin, quant à lui, dans son ouvrage Penser Global, (2) en se posant la question : "Qu’est-ce que l’humain ?", encourage à considérer l’homme dans toute sa complexité. Ce qui oblige à prendre en compte les besoins de l’être humain, et donc ses fragilités.

Si l’on considère l’humain dans sa globalité, sa définition est trinitaire : elle réunit à la fois l’individu, la société humaine et l’espèce biologique. « On est à la fois un être social, un être personnel et un être qui fait partie d’un tout qui est l’espèce humaine, laquelle se trouve aujourd’hui confrontée à un destin commun avec la mondialisation et les menaces ».

« L’humanité, dit-il, est une et multiple ; nous avons tous les mêmes besoins de bonheur et les mêmes capacités de souffrance… Être humain, c’est reconnaître l’autre dans sa semblance et dans sa différence ».

Jean-François Bensahel :
Affronter le monde nouveau  :
épître à Paul et à nos contemporains ».
Ed. Odile Jacob, paru en 2019.

Edgar Morin :
Penser global- L’homme et son univers .
Flammarion- 2016

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