Frère Michel Voute assure actuellement un service – hors contrat – de catéchèse au lycée des Rapides et d’enseignement au Lycée Pie XII, à Bangui. Sa réflexion pour tenter de définir une présence mariste différente en RCA nous permet de prendre la mesure de deux réalités obsédantes des pays en voie de développement : la scolarisation et l’aide au développement.
On peut rêver de congrès, séminaires de pédagogie élaborant des plans, une organisation scolaire modernisée obtenant des aides substantielles de l’Unesco, de l’Unicef…
Ma conviction est que les techniques d’enseignement classiques (livres, cahiers) ou modernisées (audio-visuel, informatique) appuyées par des financements lourds ne suffiront pas à créer une école africaine vivante, adaptée aux besoins réels de ces pays.
Il faut impliquer les Africains et Africaines de la base
Pour un projet de développement cohérent sans gaspillage, il faut impliquer les Africains et Africaines de la base : les villageois. Ne pas les déraciner, les mettre en marche non individuellement mais collectivement.
Finie la course au diplôme, à la bourse, à la fonctionnarisation. Il faut envisager une formation sur place par les gens eux-mêmes, le rôle des expatriés se réduisant à une conscientisation :
« Vous pouvez découvrir, analyser et répondre à vos besoins les plus urgents (eau, habitation, soins, vivres, instruction) par vos propres ressources. »
Se poser les questions de fond au niveau de l’école
Au niveau de l’école, du savoir, il faut se poser les questions de fond :
- apprendre à lire ; c’est bien, mais pour lire quoi ?
- Apprendre à compter ; c’est bien, mais pour compter quoi ?
- Apprendre à écrire ; c’est bien, mais pour écrire quoi ?
Le rôle des « agents extérieurs » est d’aider les gens à réfléchir sur leurs besoins et mettre en œuvre leurs ressources.
Donc pas de constructions financées de l’extérieur, de techniques sophistiquées mais mobiliser les énergies des gens sur quelques projets à leur portée : un puits, des filtres, une pharmacie de village, un grenier, une charrue attelée, une (auto-) alphabétisation non systématique mais répondant à un besoin, une coopérative, une chapelle, une briqueterie, un verger, une menuiserie…
Quelle place pour les FRERES MARISTES
dans un tel projet ?
Des « agents extérieurs », ferments, conseillers, n’hésitant pas a mettre la main à la pâte (construction, plantation, alphabétisation…), il est évident que des frères autochtones seraient plus facilement intégrés dans un tel projet.
Notre rôle est donc d’inviter des jeunes, en équipes, à se mobiliser pour leurs frères du village. Faire la preuve qu’ils peuvent réussir des projets pensés par eux, pour eux et réalisés par eux.
Notre aide serait temporaire, liée à un ou deux projets ou plutôt à l’animation d’une ou deux équipes.
Une « bourse de survie » devrait être allouée à ces agents extérieurs par un organisme international ou par l’Institut des Frères Maristes.
A quoi bon la course au diplôme de fonctionnaire ?
Attendre que tout le système scolaire soit bloqué ou effondré (qu’on nous dise : on n’a plus besoin de vous !) me paraît plus utopique que de vouloir prendre le taureau par les cornes, c’est-à-dire, miser sur des équipes de jeunes dynamiques, qu’on aide à s’organiser dans leur vie quotidienne au village et non dans la course au diplôme de fonctionnaire.
Certes, c’est une révolution copernicienne que de penser ainsi notre insertion : ne plus diriger, ne plus penser un système, ne plus planifier un enseignement, ne plus être le maître écouté, en un mot, ne plus tenir les leviers de commande mais se mettre à l’écoute, au service des pauvres en les aidant de notre expérience, de notre savoir, surtout de notre présence discrète,
En somme, un service humble et fraternel. Nous devons apprendre à nous écraser (l’africaine incarnation).
Fr Michel Voute
(Publié dans Présence Mariste n°160, juillet 1984)