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Ce point Omega représente le pôle de convergence de l’évolution. En situant la création en un « point Alpha » du temps, l’Homme doit, selon lui, rejoindre Dieu en ce « point Oméga » de parfaite spiritualité.
À L’ÉCOLE : APPRENDRE À TRAVAILLER ENSEMBLE…
Comment parler de l’homme de demain alors que nous sommes noyés dans la crise ? Comment parler de l’avenir de l’homme alors qu’il est de bon ton de dire que l’homme est le fruit du hasard et de la nécessité et qu’il est impossible de prévoir les mutations organiques dont nous serons l’objet ? Nous sommes incapables de prédire l’avenir économique et culturel de notre pays dans l’année qui vient, alors comment envisager l’avenir de l’homme ? En prenant du recul, et resituant l’homme dans son évolution.
C’est en faisant cela que Teilhard a pu traverser la période de non sens et d’horreur que représentait la guerre de 14. En observant l’évolution de la matière et du vivant depuis son origine connue, depuis le big-bang, Teilhard de Chardin, minéralogiste et paléontologue, a dégagé une sorte de principe de construction du vivant. La matière, depuis le commencement de l’univers semble faite pour s’agréger et former des structures de plus en plus complexes, des structures douées d’une conscience de plus en plus grande. Depuis le commencement, lorsque les conditions sont propices, les particules s’assemblent pour former les atomes, les atomes s’assemblent pour former les molécules, les molécules s’assemblent pour former les cellules, les cellules s’assemblent entre elles pour former des organismes de plus complexes de plus en plus conscients de leur environnement.
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Dans cette perspective, l’avenir de l’homme peut se dessiner comme l’extrapolation du mouvement passé. De même que l’avenir des particules, des atomes, des molécules, des cellules, était dans l’association entre éléments du même degré de complexité, l’avenir de l’homme est dans l’association des hommes entre eux.
Et, nous dit Teilhard de Chardin en 1946, ce nouveau degré de complexité est en train d’émerger sous nos yeux. L’intelligence, la réflexion est en train de devenir une co-réflexion. Chaque homme hérite du savoir de toutes les générations précédentes, et toutes les recherches de ses contemporains à travers le monde. Sa conscience est en train de devenir une conscience planétaire, et plus les années passent, plus l’homme devient conscient des conséquences de ses propres activités, plus l’homme devient également capable de transformer le monde et sa propre destinée.
Aujourd’hui, chaque homme et chaque femme peut communiquer avec tout homme quelle que soit sa position à la surface du globe. En quelques années, la planète est devenue toute petite, car Internet permet d’être présent instantanément à l’homme le plus lointain, et parce que les moyens d’observation portent sur l’ensemble de la planète.
L’avenir de l’homme, si l’on en juge par ce principe d’assemblage et de montée de la conscience, l’avenir de l’homme est dans la conjugaison des intelligences et des consciences. Elle n’est pas dans la construction d’un surhomme ou d’un superman. Dans l’horizon pessimiste qui est le nôtre, la perspective de Teilhard est d’un optimisme décapant et plus que jamais d’actualité.
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Cette vision n’est pas sans incidence sur la pédagogie que nous avons à mettre en œuvre. Le meilleur que nous puissions faire, si nous croyons que l’évolution se déroule selon ce principe récurrent de construction, c’est d’apprendre à travailler ensemble. Et si nous avons quelque chose d’important à apprendre à nos élèves, c’est de leur apprendre à travailler ensemble. C’est de pratiquer une pédagogie coopérative entre les élèves, c’est de limiter le « face à face pédagogique » et afin de mettre l’élève en situation d’acteur de sa propre formation, c’est de lui apprendre non seulement à recevoir un savoir, mais de savoir le transmettre à ses collègues, à d’autres personnes.
Nous sommes très loin d’avoir intégré ces objectifs dans les directives académiques. L’art de réfléchir ensemble ne fait pas l’objet d’un enseignement. Aucune épreuve du Bac ne met en jeu un travail collectif. Pourtant toute la vie professionnelle se déroulera dans un cadre collectif.
Un chercheur n’est un bon chercheur que s’il sait travailler avec tous les scientifiques du monde de sa spécialité, un bon ingénieur n’est efficace que s’il sait conjuguer les applications techniques de tous ses collègues et s’il sait les coordonner (fabriquer une voiture suppose des milliers de coopérations dans les domaines les plus divers), un enseignant ne sera un bon enseignant que s’il sait transmettre sa matière et s’il sait l’intégrer dans la diversité des disciplines enseignées à ses élèves. Un bon établissement, est un établissement dans lequel existent une cohésion et une cohérence du corps professoral. La vie d’un village ou d’une ville dépend de la qualité de coopération de tous ses habitants.
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Chacun en fait l’expérience dans sa vie professionnelle : la capacité à établir de bonnes relations avec ses collègues est aussi importante que la compétence technique. L’intérêt d’une profession réside autant dans l’objet du travail que dans la qualité des relations humaines qui se nouent à l’occasion de ce travail.
L’avenir est dans les apprentissages coopératifs, pour des raisons purement techniques, mais aussi pour des raisons humaines de qualité de vie. La vision de l’évolution que nous propose Teilhard vient merveilleusement confirmer ce point.
Martin Pochon, sj
(Paru dans Présence Mariste N° 274, janvier 2013)