P.M. : Pourquoi avez-vous accepté de piloter ce projet ?

Mme Molina : C’est à la demande de Mme Delmas que j’ai accepté. Ayant expérimenté depuis quelques années une pédagogie de classe « flexible », je souhaitais mettre en œuvre des objectifs pédagogiques empruntés à d’autres nations qui ont eu des effets positifs (Canada, Belgique, pays scandinaves).
En tant que professeure des écoles, titulaire de l’Éducation Nationale, il m’est demandé de respecter les programmes établis ; évidemment la liberté pédagogique me permet d’intégrer les bienfaits de certaines pratiques. Depuis quelques années, je m’inspire davantage du modèle canadien qui a bien plus de sens au niveau des apprentissages.
Je travaille beaucoup dans ce sens avec ma collègue de CM1, Madame SCHMITT avec laquelle nous partageons toute expérimentation, si bien que les élèves de CM1 ont déjà un aperçu de la pédagogie flexible.
Je suis titulaire d’un Master en sociologie et métiers de l’enseignement pour lequel j’avais rédigé un mémoire ethnographique (ayant une formation d’ethnologue) sur la socialisation en maternelle. J’avais alors expérimenté diverses approches pédagogiques afin de guider les élèves dans leurs apprentissages et de les familiariser aux travaux de groupe. Je me suis servie de ce mémoire pour une approche parallèle en cycle 3 et j’ai pu constater qu’un travail par ateliers était faisable avec des plus grands.

Cette pédagogie vise à réconcilier les enfants décrocheurs ou phobiques du milieu scolaire avec l’école. Ce que l’on ne souhaite plus voir : c’est l’élève qui se cache derrière son cahier pour nous cacher qu’il n’a pas compris ou qu’il pense avoir fait des erreurs. Impliquer l’élève, le rassurer et le guider vers la réussite.
P.M. : Pour quelles raisons voulez-vous « enseigner-éduquer » autrement ?
Mme Molina :
En tant qu’enseignants, nous avons le devoir de remettre en question nos usages en nous adaptant et en proposant des pédagogies axées sur l’accès à la réussite quelles que soient les difficultés où les obstacles (dans le cadre de la loi de 2005).
L’enseignement flexible est en corrélation avec les intelligences multiples d’Howard Gardner. Si au XIXe siècle, l’objectif de l’école est avant tout économique et social, au XXIe siècle, il est devenu culturel et basé sur des savoir-faire, des savoir être et des connaissances : la crise sanitaire qui a occasionné un confinement a remis en question notre organisation et nos approches quant aux apprentissages.
Ainsi, nous devons nous réadapter tant au niveau social que culturel. En effet, les familles ayant un capital culturel et social varié, notre travail a dû s’adapter à chaque situation face aux travaux scolaires.
Pour en revenir à Howard Gardner, il préconise de développer cinq compétences en priorité afin d’affronter l’avenir : l’esprit de synthèse, la créativité, le respect, la discipline, le sens de l’éthique.

P.M. : Quels sont les principes pédagogiques qui vous guident pour assurer cet « enseignement flexible » ?
Mme Molina : _ L’enseignant : il n’est pas le souverain et n’est pas le seul et unique dispensateur de savoir. L’espace classe : répond à un aménagement différent d’une classe traditionnelle afin de favoriser la liberté de mouvement, de pensée et d’initiative ; (cf tables basses pour travailler assis par terre, tables hautes pour travailler debout, îlots pour travailler en groupe, espaces d’apprentissages : coin sciences, maths, étude de la langue, bibliothèque, espace de détente avec jeux d’échecs, etc, coins avec outils de manipulations, cuisine pédagogique pour faire des maths et du français autrement…)
L’élève : il va développer des compétences ; l’enfant est acteur de ses apprentissages. Le groupe classe : les rythmes de chacun sont respectés et il n’y a plus un seul groupe, mais des groupes de besoins, de capacités ; cet aspect tend à former les élèves au monde du travail et de l’entreprise dans lequel ils seront amenés à travailler avec des gens qu’ils n’apprécient pas forcément ou qu’ils ne connaissent pas.
P.M : Concrètement, quels outils et méthodes développez-vous ?
Mme Molina :
Entre autres, la mise en place d’un cahier de progrès ou de réussites qui permettra une évaluation continue, non définitive car en cas de non-réussite, l’élève peut recommencer. Par ailleurs, j’ai emprunté à la méthode canadienne les leçons à manipuler qui sont une véritable mine d’or.
P.M. : En fait, qu’est-ce qui vous anime profondément pour vous lancer dans cette aventure ?
Mme Molina :
J’ai accepté de prendre la barre de navigation de ce navire expérimental, car j’aime expérimenter, tester, chercher, émettre des hypothèses et surtout j’ai envie d’aider les enfants à aimer l’école, ce qui est un challenge pas toujours facile. Mais grâce à ces petites expériences, on parvient à de belles réalisations dont les enfants sont les acteurs et c’est ce qui fait que le métier d’enseignant est riche et gratifiant sur le plan humain !
P.M. Un grand merci pour nous avoir partagé ce projet avec tant de passion. Puisse cet article retenir l’intérêt des lecteurs et inspirer beaucoup d’enseignants !